Comment l'université d'Aix-Marseille va accueillir les chercheurs américains qui fuient Trump

Quand l’Amérique de Donald Trump fait peur à ses propres chercheurs. Aix-Marseille Université les accueille comme des réfugiés. Une vingtaine de scientifiques vont s’installer dans la cité phocéenne. Il y avait autrefois la "fuite des cerveaux", ces chercheurs attirés par l'Amérique et des moyens avantageux. Aujourd'hui, c'est l'effet inverse qui se met en place.
Les scientifiques sont désormais à la recherche d’un lieu pour travailler sans crainte et sans censure. Les premiers débarqueront sur le Vieux-Port dès le mois de juin, les autres après l’été. Donald Trump a mis en place une politique anti-science avec des financements supprimés et chercheurs licenciés du jour au lendemain.
Données effacées, licenciements...
C’est très concret. Des bases de données climatiques sont purement effacées. Supprimer les données d’hier, c’est affaiblir les prévisions de demain. Début mars, des milliers de scientifiques ont manifesté à travers les États-Unis. C’est à ce moment-là que le président de l’université marseillaise, Éric Berton, s’est saisi du dossier, comme il le raconte à RMC ce vendredi.
Ses collègues américains s’autocensurent, selon lui. C’est pour leur offrir une issue qu’il a lancé le programme "Safe Place for Science" — littéralement, un lieu sûr pour la science. Un budget de 15 millions d’euros a été mis en place pour recruter une vingtaine de chercheurs. De l’argent issu d’un budget "attractivité" de l’Université.
Près de 300 candidatures ont été reçues, et ça continue d’affluer. Ce sont des scientifiques issus d’institutions prestigieuses comme Columbia, Stanford, Yale mais aussi de la NASA. La plupart sont Américains. Il y a aussi des chercheurs européens, indiens, brésiliens, argentins.
L’ambiance est si dure aux États-Unis que certains ont commencé à contacter Aix-Marseille Université discrètement, parfois via des messageries sécurisées. Des conjoints ou des parents écrivent à leur place. La première recrutée a déjà signé son contrat. Une biologiste spécialisée en épidémiologie. Elle étudie l’évolution de la santé des femmes et des enfants en Afrique, en lien avec le changement climatique. Difficile de faire plus irritant pour Trump.
Marseille s'organise pour accueillir les familles
La mobilisation à Marseille est totale. Accueillir un chercheur, c’est aussi accueillir une famille. Il faut trouver un logement, une école pour les enfants, un emploi pour le conjoint. La région, la métropole, la ville de Marseille sont impliquées dans le projet. Et vous allez me dire qu’en France, on ne paie pas les chercheurs, qu’on n’est pas attractifs. Ça agacerait presque le président de l’Université.
Éric Berton insiste: ces scientifiques postulent pour la liberté académique. À ses yeux, leur situation est comparable à celle d’un artiste, d’un journaliste ou d’un opposant politique menacé dans une dictature. L’enjeu, c’est la science et la recherche comme composante de la liberté d’expression. Et les accueillir, pour Éric Berton, c’est prolonger la tradition française du droit d’asile. Il a sollicité François Hollande sur le sujet.
D'autres universités pourraient emboîter le pas à Aix-Marseille
Ils ont signé une tribune commune "pour la création d’un statut de réfugié scientifique". Faciliter l’obtention de visas, les protections consulaires et les démarches de recrutement. Une proposition de loi de l’ancien président devenu député pourrait être examinée au mois de juin. Pour Éric Berton, il faut une mobilisation européenne. Faciliter l’accueil par nos universités. D'après lui, la Sorbonne et CentraleSupélec pourraient déjà lui emboîter le pas. Les disciplines concernées sont nombreuses.
Climat, santé, intelligence artificielle, sciences sociales, études de genre, astrophysique... Certaines universités américaines résistent. Harvard, par exemple, a les moyens financiers pour faire face. Il y a un bras de fer en ce moment même entre la Maison-Blanche et la prestigieuse université. Barack Obama est sorti de sa réserve pour dénoncer "une tentative d’étouffer la liberté académique".
D’autres, comme Columbia à New York, sont contraintes de s’adapter aux exigences du pouvoir. À Marseille, Éric Berton compare : Albert Einstein a fui l’Allemagne et l’Europe pour le monde libre. Aujourd’hui, dit-il, c’est l’Amérique qui entre dans une logique autoritaire. Ce dernier espère que l’Europe et la France deviendront à leur tour un refuge.