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L'aumônier musulman est un rempart indispensable contre la radicalisation en prison

La prison est l'un des foyers de radicalisation en France.

La prison est l'un des foyers de radicalisation en France. - Pascal Pochard Casabianca - AFP

Depuis une quinzaine d'années, Mohamed Loueslati est aumônier dans les prisons du Grand Ouest. Face au fondamentalisme qu'il a vu se développer, il revient sur son rôle auprès des détenus et regrette que le statut d'aumônier ne soit pas davantage reconnu, alors qu'il est parfois le seul à pouvoir faire obstacle aux discours radicaux.

Mohamed Loueslati, aumônier régional des prisons du Grand Ouest.

"Au début des années 2000, l'administration pénitentiaire m'a contacté, ils cherchaient un référent pour la prison de Rennes parce qu'ils n'arrivaient plus à gérer cette population musulmane et il y avait déjà des signes de radicalisation. Ils ont compris qu'il valait mieux un référent officiel plutôt que des imams auto-proclamés. J'ai tout de suite accepté, j'étais optimiste, je pensais que l'on pouvait endiguer cette radicalisation.

Le rôle de l'aumônier est primordial il donne d'abord aux musulmans l'opportunité de pratiquer leur culte. La majorité des détenus musulmans n'est évidemment pas radicalisée et ils sont demandeurs, ils veulent venir voir l'aumônier, ils sont en recherche de repères. L'aumônier sert aussi de médiateur, dans les deux sens, entre les détenus et l'administration pénitentiaire qui souvent n'a pas les connaissances pour comprendre les demandes religieuses des détenus. Et puis aujourd'hui l'aumônier intervient dans la lutte contre la radicalisation.

"Il faut user de beaucoup d'énergie et de pédagogie"

On se retrouve face à une population qui a sombré dans la délinquance et l'islam radical arrive après, un peu comme pour légitimer leur existence ou leurs actes. C'est trop facile. Il faut user de beaucoup d'énergie et de pédagogie pour expliquer le vivre ensemble, le respect des religions.

Pour les détenus isolés qui sont allés en Syrie c'est difficile. Cela fait des années qu'ils vivent dans la sous-culture de la violence. Mais pour la plus grande partie de la population pénale musulmane, ce sont des petits délinquants qui ont pris des peines de 6 à 7 mois et on arrive à leur faire entendre raison. Le problème c'est surtout à la sortie où ils ne sont pas suffisamment accompagnés. S'il y avait eu un suivi, je pense que certains ne seraient pas tombés dans le terrorisme, qui est la forme la plus élevée de délinquance.

"Il faut une professionnalisation des aumôniers"

L'aumônier musulman est un rempart indispensable contre la radicalisation, le terrorisme, les discours extrémistes. Mais en même temps on souffre d'un manque de statut. Les pouvoirs publics disent vouloir lutter contre le terrorisme mais le seul statut qu'ils nous accordent, c'est le bénévolat. Les aumôniers des armées ont un statut, un traitement, pourquoi ce ne serait pas la même chose en prison?

L'administration pénitentiaire ne veut pas professionnaliser l'aumônier musulman. Sur la formation des aumôniers, on a obtenu gain de cause. On attend un décret qui viendra rendre la formation universitaire à la citoyenneté obligatoire. Mais j'ai aussi des aumôniers qui me disent "je paie de ma poche mon trajet, comme le Coran que j'offre aux uns et aux autres, je viens sur mon temps libre quand est-ce que je vais aller faire cette formation?". Certains arrêteront de venir. Il faut qu'il y ait une professionnalisation et un traitement correct pour tous les aumôniers."

Propos recueillis par C. B