La France "exagère la laïcité": "Le pape oublie qu'un Français sur deux ne croit pas en Dieu"
Le cardinal Barbarin ne doit pas démissionner. C’est le pape qui le dit. Le souverain pontife explique dans une longue interview publiée ce mardi dans La Croix que la démission de l’évêque lyonnais serait un "contresens". Mais dans ce même entretien, le pape François parle aussi de l’islam et plus particulièrement du port du voile en France. Il estime ainsi que "si une femme musulmane veut porter le voile, elle doit pouvoir le faire". Et s’il affirme qu’un "Etat doit être laïque", il n’hésite pas à critiquer la France qui, selon lui, "exagère la laïcité." Il explique que le pays considère, à tort, "les religions comme une sous-culture et non comme une culture à part entière".
Des propos vivement critiqués sur RMC par Henri Pena-Ruiz, philosophe et spécialiste de la laïcité, pour qui "la France n'exagère pas du tout la laïcité". "C'est à se demander si le pape est vraiment informé de ce qu'il se passe en France, assène-t-il. En effet, les femmes qui désirent porter un voile peuvent le faire sauf dans le cas où elles remplissent des fonctions auprès de publics ou d'auditoires captifs. Quand on est par exemple en fonction devant des élèves, quand on représente la République, il est tout à fait normal qu'on ne porte pas de signes distinctifs".
"La question est de savoir d'où vient la crispation"
"La règle posée par la laïcité ne consiste pas à interdire uniformément et généralement tout port de signe mais à l'interdire dans des cas bien précis, rappelle encore l'auteur du Dictionnaire amoureux de la laïcité (éditions Plon). Lorsque j'enseignais, la neutralité de ma tenue vestimentaire signifiait finalement la condition d'un égal respect de tous. Cette neutralité est le verso du recto qu'est l'universalité."
Henri Pena-Ruiz adresse une autre critique au pape François: "Il semble oublier qu'un Français sur deux ne croit pas en Dieu. Il faut faire coexister ensemble des humanistes athées et des croyants des diverses religions". Et d'estimer que le souverain pontife "s'acharne un petit peu sur une caricature". Selon lui, "la question est de savoir d'où vient la crispation" autour de la laïcité: "La commission Stasi analysait comme signe religieux le voile, la kippa et la croix charismatique, tient-il à rappeler. C’est-à-dire qu'on avait pris le soin de citer un signe de chaque grande religion monothéiste. Il faut donc bien le préciser: on ne vise pas les tenants d'une religion en particulier".
"Il faut arrêter de faire une caricature de la France"
"Et d'ailleurs, on ne vise personne. On dit simplement que, dans certaines conditions, il faut respecter la neutralité. Par exemple, une femme voilée qui entre dans un bureau de Poste peut parfaitement porter le voile. Ça n'a jamais posé de problème. En revanche, la personne qui lui vend le carnet de timbres, si elle représente le service public, elle, doit rester neutre. Il faut donc arrêter, comme le fait le pape dans sa déclaration à l'emporte-pièce, de faire une caricature de la France".
Pour Henri Pena-Ruiz, "le pape François devrait donc s'informer très précisément des conditions dans lesquelles il y a des règles vestimentaires pour être bien précis sur ce qu'est vraiment la laïcité". Et de conclure: "N'attribuons pas à la laïcité la crispation qui résulte des adversaires de la laïcité".