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Le coup d'État des marchés

Le Parti Pris d'Hervé Gattegno, tous les matins à 8h20 sur RMC.

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Après l'installation de nouveaux gouvernements en Grèce et en Italie, des voix s'élèvent dans toute l'Europe pour s'inquiéter d'une forme de mise sous tutelle des États par la finance. Le coup d'État des marchés a déjà commencé...

Souvenez-vous, c'était l'avertissement qui ouvrait les épisodes de la série américaine Les Envahisseurs, dans les années 70 : "Le cauchemar a déjà commencé." Les extra-terrestres avaient pris forme humaine et s'étaient emparés des postes stratégiques pour préparer leur invasion. La comparaison est excessive, mais c'est vrai que ces cris d'alarme contre la finance prenant le contrôle des démocraties, ils arrivent un peu tard. Les démissions forcées de Papandreou et de Berlusconi ont d'abord été saluées comme des victoires ; maintenant que ce sont des hommes issus de la technocratie financière qui les remplacent, c'est l'inquiétude qui gagne. On a clairement basculé d'un système à un autre. En démocratie, c'est le peuple qui choisit ses dirigeants à travers les élections. Désormais, c'est la pression des marchés qui impose ses hommes. Voyez Berlusconi : il a résisté à ses opposants, à la justice et aux scandales, mais un taux d'intérêt de 7 % l'a emporté...

Est-ce que ce n'est pas une bonne idée de nommer des experts quand il s'agit de redresser la gestion d'États en difficulté ?

Sûrement, mais toute la question est : qui décide ? En Italie comme en Grèce, les gouvernements qui viennent de tomber avaient été élus - et au train où vont les choses, aucune élection ne va venir ratifier la nomination de leurs successeurs. En Espagne, on votera le 20 novembre ; mais c'est parce que Zapatero a dû convoquer des élections anticipées et annoncer qu'il ne se représenterait pas pour faire adopter son plan d'austérité... On l'a compris, les marchés détestent l'imprévu - donc ils détestent forcément les élections, qui ont souvent des aléas. On constate maintenant qu'ils préfèrent des technocrates liés aux banques et aux institutions européennes, comme Monti ou Papademos, plutôt que des politiciens classiques, dont l'imprévoyance est trop... prévisible.

Est-ce que la même chose pourrait se produire en France ? Après tout, notre pays aussi est très endetté et croule sous les déficits...

Dans l'absolu, oui, ça pourrait arriver. C'est bien pour cela que la campagne présidentielle qui s'ouvre a déjà pris des allures de concours Lépine de la rigueur : c'est à qui fera le plus d'économies et tiendra le discours le plus alarmiste. C'est-à-dire que les candidats eux-mêmes se sentent obligés de rassurer les "marchés" avant de convaincre les Français. La leçon de la crise, c'est que les États ont perdu leur souveraineté en s'abandonnant au surendettement. Ils ont creusé eux-mêmes les gouffres au fond desquels ils sont précipités... Le vrai enjeu de 2012, c'est de savoir si on peut réussir à convaincre qu'il est encore possible de décider d'une politique hors la tutelle de fait des marchés.

Le plan de la Commission de Bruxelles pour mieux contrôler les agences de notation, est-ce que c'est une initiative qui va dans le bon sens ?

C'est mieux que de ne rien faire, mais c'est difficile à comprendre : est-ce qu'il n'est pas déjà bien tard pour s'interroger sur la "transparence" des notations ? S'il y a un problème, personne ne peut comprendre qu'on ne le soulève qu'aujourd'hui et qu'on ne l'ait pas fait, par exemple, dès le début de la crise grecque...

Hervé Gattegno