Les métamorphoses de François Fillon

Le François Fillon qui fuyait la lumière en fronçant les sourcils a cédé la place à un Premier ministre émancipé de l'encombrante tutelle de Nicolas Sarkozy et jouant avec assurance sa partition personnelle. "C'est évident, il est plus confiant en lui pui - -
par Patrick Vignal
PARIS (Reuters) - Le François Fillon qui fuyait la lumière en fronçant les sourcils a cédé la place à un Premier ministre émancipé de l'encombrante tutelle de Nicolas Sarkozy et jouant avec assurance sa partition personnelle.
En visite officielle, en donneur de leçons d'économie ou en maître d'école d'une classe UMP plutôt indisciplinée, le chef du gouvernement savoure depuis le remaniement de novembre dernier un rééquilibrage en sa faveur du tandem exécutif.
"C'est évident, il est plus confiant en lui puisqu'il a su s'imposer, être le Premier ministre du président de la République", souligne le député UMP Jacques Myard. "J'ai le sentiment qu'il a à la fois plus d'allant et de sérénité, qu'il est plus lui-même."
Naguère relégué au rang de simple "collaborateur" de l'Elysée par Nicolas Sarkozy lui-même puis annoncé comme partant de Matignon au bénéfice du centriste Jean-Louis Borloo, François Fillon a fait mieux que survivre.
Moins impopulaire que le président du temps où le chef de l'Etat cristallisait les mécontentements en occupant tous les fronts, il a creusé un peu plus l'écart depuis qu'il exerce pleinement son métier de Premier ministre.
Avec 50% de bonnes opinions contre 34% pour Nicolas Sarkozy dans le dernier baromètre BVA publié mardi, le pensionnaire de Matignon continue de séduire davantage que le président.
A sa manière, laissant les faux pas à d'autres, il a pris de l'épaisseur et soigné son profil d'homme d'Etat.
Que faire de cette stature renforcée ? Peut-être viser la mairie de Paris en 2014, comme l'a laissé entendre la ministre des Sports, Chantal Jouanno, en évoquant la possibilité d'un "ticket" avec le Premier ministre dans la capitale.
Pour la présidentielle de 2012, pas question de faire ombrage à Nicolas Sarkozy, candidat naturel derrière lequel la droite doit se ranger en ordre de bataille, dit-on à Matignon.
CAP SUR 2017 ?
A la lecture de la séquence des trois mois écoulés, François Fillon peut donner l'impression de faire campagne pour 2017, imitant le secrétaire général de l'UMP, Jean-François Copé.
"Je pense qu'il a surtout à coeur de ne pas s'effondrer dans l'usure du pouvoir et de continuer à faire la mission qui est la sienne", modère le député UMP Lionnel Luca. "Je pense que, très franchement, François Fillon n'est pas homme à avoir des perspectives aussi lointaines."
Son horizon s'est quand même élargi. Dans la foulée du remaniement, il embarque à bord du nouvel Airbus présidentiel, baptisé "Air Sarko One", direction le Kazakhstan pour le sommet de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
La meilleure répartition des rôles entre l'Elysée et Matignon promise par Nicolas Sarkozy est en marche. Elle se prolonge avec un déplacement en Russie, où François Fillon trône aux côtés de Vladimir Poutine, puis un autre à Londres, où David Cameron lui ouvre en grand les portes du 10, Downing Street.
Le Premier ministre va jusqu'à s'autoriser une dose d'autosatisfaction. Lors de ses voeux à la presse, il vante son bilan et se pose en modèle de cohérence et de stabilité.
"Je crois sincèrement que la légitimité du changement a davantage progressé dans notre pays en l'espace de quatre ans qu'au cours des 20 dernières années", lance-t-il à l'assistance avant de militer pour la poursuite des réformes afin de faire de 2011 une "année utile pour la France."
Il saisit aussi l'occasion pour recadrer Jean-François Copé et le chef du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Christian Jacob, le premier pour avoir réclamé un nouveau débat sur les 35 heures, le second pour avoir remis en question la "pertinence de l'emploi à vie des fonctionnaires."
C'EST LUI LE CHEF
Le message est clair: n'en déplaise aux nouveaux duettistes de l'UMP, le chef de la majorité, c'est François Fillon, et ce dernier préconise la mesure en toutes choses, dans ces deux dossiers comme dans le positionnement de la droite traditionnelle face à la menace Marine Le Pen.
Tandis que l'UMP chahute, le Premier ministre n'oublie pas de polir son image de gestionnaire prudent en insistant sur la nécessité de réduire les déficits publics.
L'Europe, confie-t-il à Londres, doit se serrer les coudes pour donner la réplique aux pays émergents, Chine en tête. Dans ce domaine aussi, le Premier ministre, longtemps sceptique face à l'idée européenne et opposé au traité de Maastricht dans la lignée de Philippe Séguin, a bien changé.
Philippe Séguin, justement, vient de permettre, à la faveur du premier anniversaire de sa disparition, à François Fillon de se revendiquer de son héritage et de présenter l'ancien premier président de la Cour des comptes comme le mentor qu'il refuse de voir en Nicolas Sarkozy.
Encore trop libéral aux yeux de certains séguinistes, l'élève a tenté de prendre l'accent gaullien de son modèle en dénonçant à Londres la cupidité des spéculateurs à l'origine des désordres financiers qui ébranlent l'Europe.
"Est-ce qu'on peut changer la nature humaine ?", s'est-il interrogé. "En tout cas, on peut essayer."
Avec Emile Picy, édité par Yves Clarisse