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13-Novembre: qu'est-ce que la "perpétuité réelle", la peine rare qu'encourt Salah Abdeslam?

Salah Abdeslam pourrait ce mercredi soir être condamné à la "perpétuité réelle". Cette peine, qui est incompressible, n'a été prononcée en France depuis sa création en 1994, que quatre fois.

Le verdict est attendu ce mercredi soir au procès des attentats du 13-Novembre. L’un des enjeux, c’est de savoir si Salah Abdeslam sera condamné à la perpétuité réelle, la peine la plus lourde possible en France. Elle n’a été prononcée que quatre fois depuis qu’elle existe.

C’est la peine absolue. Une perpétuité assortie d’une peine de sûreté incompressible. Théoriquement, c’est donc la prison à vie sans espoir d’en sortir. Le code prévoit tout de même qu’au bout de trente ans de détention, le condamné pourra demander une révision de sa peine, qui pourra lui être accordée à titre exceptionnel par un tribunal d’application des peines, après avis de médecins psychiatres et après consultation des familles des victimes. Il y a donc une petite ouverture après 30 ans de prison, et une possibilité aussi de libérer un détenu malade en phase terminale.

De quand date cette peine?

Cette peine a été introduite dans le droit français en 1994 à la suite d’un fait divers qui avait révolté l'opinion: l’affaire de l’ogre de Perpignan. C’est l’histoire d’un homme, Patrick Tissier qui avait commis sa première tentative de viol à 12 ans et demi. À 20 ans, en 1971, il est condamné pour viol et meurtre. Onze ans plus tard, pendant une permission de sortie. En 1982, il commet un nouveau viol. Libéré encore dix ans plus tard en 1992, il viole et tue une femme puis une fillette de 8 ans. Patrick Tessier n’a pas été condamné à la perpétuité réelle qui n’existait pas encore. Il a été condamné à perpète avec 30 ans de sûreté. Et il en a fait 29. L’année prochaine, il pourra donc demander à être libéré. Mais rien ne dit qu’il l'obtiendra puisqu’il reste condamné à perpétuité.

Depuis, quatre hommes ont été condamnés à cette peine incompressible. Quatre fois seulement en bientôt 30 ans, cela montre que les jurys populaires hésitent à prononcer cette peine maximale. Pierre Bodein a été condamné en 2007 pour trois meurtres dont celui d’une enfant de 10 ans. Il a 74 ans et il est toujours en prison. Michel Fourniret, le tueur en série, a été le deuxième condamné de l’histoire à la perpétuité réelle en 2008. Et il est mort en prison à 79 ans, il y a deux ans. Enfin Nicolas Blondiau et Yannick Luende Bothelo, deux hommes beaucoup plus jeunes, de moins de 30 ans, ont été condamnés en 2013 et 2016 pour à chaque fois des meurtres d’enfants épouvantables. Depuis la mort de Fourniret, ils sont donc trois actuellement dans les prisons françaises à purger cette peine.

Une peine appliquée dans une vingtaine de pays

Salah Abdeslam pourrait être le quatrième puisque cette peine a été requise contre lui. Cependant, elle n’a pas été requise pour les 130 morts du 13 novembre. En effet, en 2015, les actes de terrorisme n’étaient pas passibles de la perpétuité réelle. La loi n’a été modifiée qu’en 2016 à cause de ces attentats, mais sans être rétroactive. En revanche en 2015, la loi prévoyait cette peine incompressible pour les meurtres de policiers, ou pour les tentatives de meurtres. C’est donc pour les tirs sur les hommes de la BRI au Bataclan que la peine maximale a été requise. Même si ces policiers n’ont été ni tués ni blessés, et même si Salah Abdeslam n'était pas présent au Bataclan.

Les procureurs à l'audience ont défendu qu’il y a eu le 13 novembre une scène de crime unique, que le stade de France, les Terrasses et le Bataclan ne font qu’un et que Salah Abdeslam est complice. Pour les actes de terrorisme et les 130 morts, il risque la perpétuité avec 30 ans de sureté, pour les tirs contre les policiers, il risque la peine incompressible. On saura ce mardi soir si les jurés, qui sont des magistrats professionnels, suivront le parquet, ou bien s’ils écouteront les avocats d’Abdeslam qui ont dénoncé une peine démesurée et une peine de mort sociale.

Cette peine de perpétuité réelle existe dans une vingtaine de pays, sur tous les continents. Mais elle est surtout appliquée dans un pays: les Etats-Unis. 49 des 50 Etats américains appliquent cette peine. 30.000 prisonniers la purgent, avec aucun espoir de sortir de prison autrement que dans un cercueil. Parmi eux, 2.000 ont été condamnés alors qu’ils étaient mineurs au moment des faits. 71 d'entre eux ont été condamnés alors qu’ils avaient 13 ou 14 ans. Ce qui veut dire qu’ils vont rester incarcérés 70 ou 80 ans. On appelle ça: “Life without parole”, la prison à vie, sans libération sur parole possible. Ou alors “natural life”, condamné à mourir de mort naturelle en prison.

Nicolas Poincaré