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Affaire Adèle Haenel: une confrontation en cours avec Christophe Ruggia

Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d'agressions sexuelles.

Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d'agressions sexuelles. - AFP

INFO RMC. Adèle Haenel, qui accuse Christophe Ruggia d’agressions sexuelles entre ses 12 et 15 ans, est actuellement confrontée au réalisateur mis en examen pour agression sexuelle sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime, depuis janvier 2020. Depuis trois ans et demi, le réalisateur nie avoir agressé sexuellement la toute jeune comédienne, qui incarnait le rôle principal de son film "Les diables" tourné en 2001.

Une confrontation est en cours ce jeudi entre Adèle Haenel et Christophe Ruggia, qu'elle accuse d’agressions sexuelles entre ses 12 et 15 ans. Ce n’est pas la première fois qu’une confrontation est organisée dans ce dossier. Adèle Haenel avait été confrontée à Christophe Ruggia au stade de l’enquête préliminaire en janvier 2020. Pendant plus d’une heure au siège de l’OCRVP, en charge de l’enquête, chacun était resté sur ses positions. Cette confrontation a depuis été annulée, comme la totalité de la garde à vue du réalisateur, sur une requête des avocats de la défense. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait estimé que son interpellation le 14 janvier 2020 n’était pas "strictement nécessaire", alors que les accusations d’Adèle Haenel étaient publiques depuis les révélations de Mediapart en novembre 2019. L’enjeu de cette confrontation, la première dans le bureau de la juge d’instruction, est de voir si après trois ans d’instruction, les positions des deux parties ont pu évoluer.

Depuis le 3 novembre 2019, Adèle Haenel dénonce avec constance l’emprise du réalisateur chez qui elle s’est rendue tous les samedis après-midi pendant près de quatre ans après le tournage du film "Les diables", de ses 12 à 15 ans, de septembre 2001 à février 2005. La comédienne, qui dénonce des agressions sexuelles, décrit toujours la même scène au domicile de Christophe Ruggia: "Il prenait un prétexte quelconque pour venir à côté de moi sur le canapé. Là, il commençait à me caresser les cuisses en remontant vers mon sexe, comme ça, l’air de rien. Il touchait alors aussi mon sexe, il m’embrassait dans le cou en respirant très fort, il passait sa main dans le col de mon tee-shirt et il touchait ma poitrine". Elle explique qu’elle se sentait "absolument redevable" du réalisateur qui l’avait fait tourner pour la première fois: "Il m’a rendue dépendante" et "il me reprochait l’amour qu’il avait pour moi, il se victimisait".

"Un lien très tactile", un "côté fusionnel"

Après deux ans d’instruction, d’auditions de témoins dans l’entourage du réalisateur et de la comédienne, Christophe Ruggia a enfin été interrogé par la juge d’instruction et confronté aux accusations d’Adèle Haenel. Il a une nouvelle fois nié les faits, "comme si Adèle était dans une autre réalité, en fait", et s’est emporté face aux accusations d’emprise de la comédienne: "Prédateur, ça me fait bondir. Processus d’isolement, ça me fait bondir aussi". "Je trouve ça délirant. Adèle, elle venait quand elle voulait chez moi. Jamais je ne l'ai poussée à venir. Elle venait prendre des DVD, prendre des nouvelles du film, discuter, me raconter des anecdotes, me poser des questions sur le cinéma, des films, des livres. Si j'avais senti le moindre malaise une fois chez Adèle, j'aurais arrêté de la voir ou j'en aurais parlé avec elle".

Le réalisateur admet que la collégienne passait trois à quatre heures en moyenne les samedis après-midi – sans parvenir à les dénombrer - dans son deux-pièces du 11e arrondissement de Paris. "Comprenez-vous que vous puissiez être interrogé sur le contenu de vos discussions quatre heures durant, très régulièrement, avec une très jeune fille?", lui demande la juge d’instruction. Le réalisateur acquiesce. "Ne vous étiez-vous pas posé cette question-là à ce moment-là ?", lui demande alors la magistrate. "Pas du tout, parce qu'on appartenait à la vie l'un de l'autre", répond-il.  

Christophe Ruggia admet "un lien très tactile" avec Adèle Haenel, un "côté fusionnel" au moment du tournage des "Diables" qui a duré trois mois en 2001. Il évoque un épisode au cours duquel la collégienne lui aurait mis la langue dans l’oreille devant ses parents au restaurant. Une scène que ni Adèle Haenel ni sa mère ne confirment. A l’époque du tournage pourtant, la mère d’Adèle Haenel s’était inquiétée de la proximité entre sa fille et Christophe Ruggia. "Les comédiens sont toujours en demande d’attention et d’amour, tente d’expliquer Christophe Ruggia. Le réalisateur est toujours en train de les rassurer, de les protéger, 't'es magnifique', et hop on se serre dans les bras, je t'embrasse. Un comédien, c'est fragile, donc le réalisateur il les entoure."

"Adèle, elle pouvait hurler à la mort sur un plan et dès qu'on avait coupé, elle rigolait, me sautait sur le dos, comme une gamine, ça n'a rien à voir avec un rapport ni sexuel, ni amoureux", se défend le mis en examen. "Adèle, je lui ai dit plusieurs fois que je l'aimais, que je l'adorais, dans un cadre qui n'avait rien à voir avec une question amoureuse, c'était plus un mélange d'admiration, d'amitié". Christophe Ruggia dit d’Adèle Haenel qu'elle "brûle la pellicule", qu’elle a une "sensualité débordante". Il la compare à Marilyn Monroe mais il l’affirme: à aucun moment, il n’a éprouvé d’attirance à l’égard de l’adolescente: "J’ai un amour profond pour elle, pour son travail, pour le rapport qu'on avait. Mais je n'ai jamais eu d'attirance physique pour Adèle et encore moins quand elle avait 12 ans, je n'ai jamais eu d'attirance physique envers aucun enfant que ce soit, et même après".

Adèle Haenel a dénoncé la "complaisance générale du métier" en annonçant l'arrêt de sa carrière

Adèle Haenel avait rompu tout contact avec Christophe Ruggia à l’aube de ses 16 ans, en 2005. Le réalisateur affirme que c’est parce qu’il avait dû couper le rôle qu’il lui destinait dans un nouveau projet de long métrage, ce qu’elle aurait vécu comme "une trahison professionnelle et personnelle". Dans un courrier en date de 2007, Christophe Ruggia tente de renouer avec l’adolescente: "Je voulais te dire tout ça pour que tu saches que si mon amour pour toi a parfois été trop lourd a porté, il a toujours été d’une sincérité absolue".

Entendu par la juge d’instruction, le petit ami de l’époque d’Adèle Haenel conforte la version de la comédienne: "Pour moi, Christophe Ruggia occupait un espace mental ou émotionnel qui à mon sens, à l’époque, aurait dû m’être dévolu. Je sais qu’il lui avait dit être amoureux d’elle. Il avait tenté de l’embrasser sur la bouche". Un autre témoignage fragilise la ligne de la défense. L’ex-compagne de Christophe Ruggia dit avoir recueilli ses confidences à propos d’Adèle, dont "il était amoureux fou". Elle évoque alors une scène qui ressemble aux agressions dénoncées par la comédienne: "Une fois, Adèle était allongée sur ses genoux et la tête sur ses cuisses sur le canapé. Ils regardaient un film, il m’indique qu’il avait la main sur son ventre et que sa main est remontée sur sa poitrine, (…) il me dit avoir interrompu son geste car il a vu Adèle prendre peur et ouvrir grand les yeux. Il me dit avoir pris peur lui aussi et avoir retiré sa main. De son point de vue, il se sentait hyper droit car il avait maitrisé ses pulsions".

A la psychologue qui l’expertisait, Adèle Haenel confiait: "Moi, j'espère toujours qu'il reconnaisse, je me dis que ça sert à ça le processus judiciaire, ça sert à admettre, à reconnaître tous le deux en fait, à reconstruire quelque chose pour moi issu de ma blessure et pour lui issu de son mensonge". En décembre 2020, lors de sa première audition de partie civile face à la juge d’instruction, Adèle Haenel avait confirmé vouloir "aller au bout de la procédure", et "qu’il y ait un procès": "La justice, c’est aussi une façon d’être soignée, dans le fait d’être reconnue comme victime, parce que j’ai énormément souffert des conséquences des agressions". Dans une tribune publiée dans Télérama le 9 mai dernier, Adèle Haenel avait souhaité "politiser son arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels". 

Marion Dubreuil