Affaire Barbarin: "Ce qui me scandalise, c'est que l'Eglise ne s'est jamais indignée"
Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef adjointe du journal La Croix, publie ce jeudi Histoire d'un silence (éd° du Seuil). Elle a elle-même a grandi à Sainte-Foy-lès-Lyon, et fréquenté pendant quatre ans le groupe Saint-Luc, la troupe scoute du père Preynat. Elle était ce jeudi l'invitée de Jean-Jacques Bourdin sur RMC.
Vous estimez que le père Preynat a fait entre 60 et 100 victimes…
"Il y a 67 victimes qui ont déposé plainte. Comme j'étais dans cette troupe-là, je connais pas mal de victimes, et je connais aussi des gens qui n'ont toujours pas déposé plainte. C'est pour ça que je vous dis qu'il y en a environ une centaine".
Finalement, tout le monde savait ?
"Pendant quatre ans, [le père Preynat] était mon aumônier scout. C'était une troupe de 400 enfants à peu près, 200 filles, 200 garçons. C'est vrai qu'il ne s'occupait pas beaucoup des filles. Entre filles, on se disait 'il nous fiche un peu la paix'. Et ce qui est finalement assez troublant, c'est quand j'ai appris plus tard, vers les années 2004, qu'il y avait un dossier sur lui, la petite fille qui était en moi n'a pas été surprise. C'est ça, aujourd'hui, qui me trouble beaucoup. C'est-à-dire que quand même, on sentait qu'il y avait un truc qui n'allait pas. Et qu'ensuite je découvre qu'en fait, tout le monde savait…"
On savait qu'il aimait les garçons?
"On en savait sans doute un peu plus. C'est-à-dire que les parents, les prêtres autour du père Preynat le savaient. Quand il y a eu la plainte, le curé de l'église a dit: 'il a recommencé'. A ce moment-là, j'ai des très bons amis qui m'en ont parlé… Et là, je me suis demandé comment avait-on pu être si aveugle dans cette histoire. Ce qui me scandalise, c'est que l'église ne s'est jamais indignée.
Vous éprouvez de la culpabilité?
"Je me sens coupable, comme tous les habitants de Sainte-Foy-lès-Lyon qui connaissaient ce prêtre. C'est ce qui est si terrible dans ce système: le prédateur, qui est très pervers, rend coupable tout le monde. L'enfant par son silence, les enfants à côté - dont j'ai fait partie - par leur silence de spectateur, les parents aussi, parce que finalement personne ne peut rien dire etc."
Que nous enseigne cette histoire?
"Il faut un discours de vérité, et pour cela, donner la parole aux victimes. Quelque part, je voudrais que les parents, quand leur enfant commence à leur parler, quand il y a des comportements bizarres, qu'ils l'écoutent. Il y a des familles qui sont détruites à cause de ça. Il y a des mères qui ne dorment plus parce qu'elles n'ont pas su comprendre, écouter leurs enfants. Enfants qui aujourd'hui sont âgés, mais qui leur en veulent beaucoup".