"Intolérable": 10 ans après le crash de l'émission "Dropped", toujours pas de procès en vue

Il y a dix ans jour pour jour, le 9 mars 2015, deux hélicoptères entraient en collision en Argentine dans la province de la Rioja. Bilan: dix morts. Deux pilotes argentins, cinq membres français de la production et les sportifs Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine. Ces derniers étaient à bord de l'un des appareils dans le cadre du tournage de Dropped, une émission de TF1 dont la diffusion était prévue pour l'été 2015.
Les familles des victimes, qui se réunissent ce dimanche pour commémorer les 10 ans, attendent toujours les réquisitions du parquet et une décision finale des juges sur un éventuel procès, alors que l'enquête est clôturée depuis 2022.
Les yeux rivés sur son téléphone, Sophie fixe une photo de sa soeur Lucie. Elle est morte dans l’accident de l’hélicoptère. "C'est un portrait de Lucie sur le tournage de l'émission, quelques jours avant l'accident", dit-elle auprès de RMC. Elle était salariée de Adventure Line Productions (ALP), la société qui produisait l'émission.
Celle qui a perdu sa soeur attend le procès depuis 10 ans: "C'est insupportable, c'est vivre avec une plaie qui ne cicatrise jamais. Mes neveux avaient 3 et 6 ans lors de la disparition de leur mère, ils ont maintenant 13 et 16 ans. À un moment, il est temps", s'indigne-t-elle. "Ma vie a été chamboulée, après cet accident, j'ai fait un choc post-traumatique. On ne vit plus, on survit."
La société ALP mise en examen pointe une "erreur en humaine"
Dans son viseur, ALP: "On demande une confrontation avec, on a besoin de réponses", réclame Sophie. Un sentiment partagé par de nombreuses familles de victimes. "C'est presque intolérable ce temps qui est aussi long alors qu'il y a bien des fautes qui ont été identifiées. Et malgré ça, on peut avoir une société qui continue de produire alors que derrière, il y a des gens qui travaillaient pour eux qui sont décédés et qui ne sont pas reconnus", constate amèrement Valérie Guinard, président de l'association des familles de victimes.
Dans l'enquête des juges parisiens du pôle accidents collectifs, la société de production Adventure Line productions (ALP), poids lourd des jeux télévisés d'aventure tels que Koh-Lanta ou Fort Boyard, et cinq personnes dont des hauts dirigeants d'ALP de l'époque comme Alexia-Laroche Joubet, sont en effet mis en examen pour homicides involontaires.
Selon des éléments de l'enquête obtenus par l'AFP, la justice française soupçonne la société de production de "passivité" sur la sécurité, en ayant fait sélectionner sur des critères principalement financiers les pilotes et les hélicoptères utilisés, au détriment de la sécurité des personnes. ALP incrimine de son côté une "erreur humaine", celle des pilotes, et garantit que "l'ensemble des moyens humains et matériels ont été mis à disposition" pour ce tournage.
Le rapport argentin avait pointé des "défaillances"
Le 9 mars 2015, au départ de ce vol rapproché à basse altitude, visant à ce que le cameraman d'un appareil filme l'autre, les deux hélicoptères "Ecureuil" sont entrés en collision avant de s'écraser, rappelle l'AFP. Vidéos et témoignages ont vite mis en cause une erreur de pilotage, hypothèse accréditée fin 2015 par le Jiaac, l'équivalent argentin du Bureau d'enquêtes et analyses (BEA). Mais le rapport argentin pointait aussi d'autres défaillances: "lacunes dans la planification" du vol, utilisation dans un cadre commercial d'hélicoptères publics, imprudences de pilotage pour des séquences spectaculaires...
Traductions, déplacements des juges, Covid...
Mais pourquoi n'y a-t-il pas eu de procès, après tout ce temps? "C'est un dossier qui a mis un certain temps au démarrage parce qu'il y avait beaucoup d'investigations à faire en Argentine, avec des commissions rogatoires internationales, des déplacements des juges, beaucoup de traductions", explique l'avocate Maître Solenn Le Tutour, avocate de l'association des familles des victimes.
"Il y a eu aussi le Covid", rappelle-t-elle. "Mais tout de même, maintenant, ce n'est pas parce qu'il y a eu tout cela que c'est acceptable. 10 ans, c'est beaucoup trop long. Il n'y a pas même pas de réquisitoire, pour les familles des victimes, ce n'est vraiment pas très compréhensible."