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Police-Justice

Trafic de drogue et règlements de compte: dealers, politiques, consommateurs, qui est responsable?

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Trois personnes ont été tuées en une nuit dans plusieurs fusillades à Marseille. Selon les autorités, les victimes étaient liées au trafic de drogue. Et alors que les forces de l'ordre semblent impuissantes face aux trafics, plusieurs voix s'élèvent chez les politiques pour dénoncer le rôle des clients et des consommateurs.

Comment lutter contre le trafic de drogue alors que les forces de l'ordre et les politiques publiques semble impuissantes? Faute de lutte efficace contre les trafiquants, faut-il pointer du doigt la responsabilité des clients, alors que trois personnes liées au trafic de stupéfiants ont été tuées en une seule nuit à Marseille?

C'est la direction que semble vouloir prendre le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti: "Je fais un lien direct entre les trafiquants et les consommateurs. Le confort festif donne des règlements de compte. Tous ceux qui fument le petit pétard le samedi soir devraient s’en souvenir", a-t-il lancé ce mardi sur France 2.

Le sénateur Reconquête des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier veut lui être plus sévère avec les clients et miser sur l’amende forfaitaire déjà en place. "Il existe des peines de prison possibles pour les consommateurs et une amende forfaitaire. Les Bouches-du-Rhône sont les champions des consommateurs verbalisés mais la préfète de police nous informe que seulement 30% de ces amendes sont finalement payées", déplorait-il lundi sur BFMTV.

Et en effet, à l'échelle nationale, le taux de recouvrement pour l'amende forfaitaire liée à la consommation de cannabis est de 34%. Autrement dit, seulement un tiers des personnes verbalisées s'acquitteraient de cette amende.

"Responsabiliser en partie le consommateur"

Pour l'économiste Thomas Porcher, il faut aussi faire prendre conscience des désastres écologiques et humains que peuvent générer les trafics de drogue. "Il faut responsabiliser en partie le consommateur. Il y a une image beaucoup trop sympathique de la drogue", juge-t-il ce mardi sur le plateau des "Grandes Gueules".

"Il y a eu plein de livres pour expliquer les kilomètres que faisait un kiwi et l'impact carbone que ça avait, mais on n'explique pas bien quel est le chemin d'un gramme de cocaïne ou de cannabis. C'est important que les gens sachent. Il y a derrière un trafic d'êtres humains qui est très violent et que les gens doivent connaître", estime-t-il.

"Il faut être beaucoup plus dur avec le consommateur", insiste de son côté Joëlle Dago-Serry. "J’ai grandi à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), ville limitrophe de Paris avec une station de métro d’où tous les Parisiens sortent tranquillement, achètent leur cannabis et retourne à Paris tranquillement. Ce n’est pas normal de ne pointer du doigt que les jeunes de banlieue", ajoute-t-elle, prenant l'exemple d'un quartier de la ville, la cité des Boute-en-Train, vidée de ses habitants pour être détruite car gangrénée par le trafic de drogue.

"La meilleure méthode pour responsabiliser quelqu’un, c’est de toucher à son portefeuille", estime de son côté Mehdi Ghezzar. "Le permis à point et les amendes excessives, cela a permis de réduire les accidents mortels".

Le contre-exemple portugais

Ailleurs en Europe, on a décidé de prendre le problème dans l'autre sens. Au Portugal, depuis 2001, toutes les drogues ont été dépénalisées. Les Portugais surpris en possession de n'importe quelle drogue en petite quantité, à des fins d'usage personnel, encourent une infraction administratives et sont orientés vers une prise en charge sanitaire. Les toxicomanes sont considérés comme des malades et non plus des criminels.

Une méthode qui a fait en partie ses preuves. Les décès par overdose et la transmission du VIH ont été drastiquement réduits. La lutte contre le trafic est plus efficace et la consommation de drogue a aussi baissé.

La légalisation au point mort

En France, le tout répressif semble rester la seule option privilégiée par les gouvernements successifs. Faute de lutter contre le trafic, il faudrait lutter contre les consommateurs, comme semblent donc le privilégier certains politiques depuis lundi.

Et pas question d'envisager une légalisation, alors que le cannabis est la drogue illicite la plus consommée, selon une étude de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Ainsi, 10,6% des 18 à 64 ans avaient déjà consommé du cannabis au moins une fois dans l'année en 2021.

Un rapport de l'Assemblée nationale publié en mai 2021 estimait que près de 18 millions de Français avaient déjà consommé du cannabis et que 1,5 million en consommaient régulièrement. Début 2019, près d'un Français sur deux (45%) se disait favorable à une légalisation, selon une enquête de l'Observatoire français des drogues et toxicomanies.

Selon les estimations du cercle de réflexion Terra Nova, la simple dépénalisation du cannabis pourrait permettre d'économiser 300 millions d'euros avec la baisse des coûts de la répression. Et les recettes fiscales avec la légalisation permettraient à l'Etat d'engranger entre 1,7 et 2,2 milliards d'euros.

L'usage récréatif du cannabis est légal dans de nombreux états américains, de l'Uruguay, du Canada ou encore de Malte et des Pays-Bas. Et l'Allemagne pourrait franchir le pas.

Guillaume Dussourt