Emeutes en Martinique: "On ne peut pas se ravitailler à cause des normes européennes"

Face à la flambée de violences qui touche la Martinique, le préfet du département, Jean-Christophe Bouvier a décrété ce mercredi un couvre-feu dans certains quartiers de Fort-de-France. Depuis plusieurs jours, "L'île aux fleurs" est touchée par des violences urbaines dans un contexte de mobilisation contre la vie chère, alors qu'une étude de l'Insee de 2022 faisait état de prix alimentaires 40% plus élevés qu'en métropole.
Si la vie est si chère en Martinique, c'est parce que l'île des Antilles importe énormément de ses denrées depuis la métropole, à 8.000 km de là. "Il y a aussi une question de fiscalité et la question de l'emploi avec un taux de chômage élevé", explique ce jeudi sur le plateau des Grandes Gueules l'économiste Frédéric Farah. "On se retrouve avec une inflation moins contrôlée qu'en métropole et beaucoup plus élevée, et c'est un problème ancien qui n'a pas l'attention nécessaire", ajoute-t-il.
"Les békés détiennent tout en Martinique"
Le problème est historique avec le rôle des békés, ces descendants européens des premiers colons qui représentent 1% de la population de l'île (3.000 personnes environ) mais qui possèdent de nombreuses infrastructures économiques. "Les békés n'ont jamais essayé de changer, ils détiennent tout en Martinique", déplore Nina, une Martiniquaise qui vit en métropole. "Ils détiennent toutes les concessions, on est muselé".
"Il y a un monopole de trois familles qui contrôlent tous les flux", renchérit Jean-Yves, originaire de Martinique et qui a longtemps vécu sur place. "N'importe quel commerce qui veut s'implanter, ça ne marche pas", ajoute-t-il.
Mais pourquoi tout importer de métropole, à plus de 8.000 km de la Martinique, alors que les Etats-Unis et le Mexique sont plus proches? "Selon les normes, les produits américains ne peuvent pas tous être vendus dans le commerce chez nous", explique sur RMC et RMC Story Ludovic, élu à Fort-de-France en charge du développement économique. "On ne peut pas se ravitailler parce qu’on a les barrières des normes européennes et françaises", ajoute-t-il.
"Manque de respect"
Ludovic déplore également l'administration de la Martinique par la France. "Le préfet, c’est un génie", ironise-t-il. "Il a dépêché des experts qui sont venus 24h pour une mission flash. C’était censé solutionner la vie chère, mais c’est du manque de respect".
"On peut avoir nos hauts fonctionnaires, qui connaissent les réalités de chez nous. On est fiers d’être Français et ce n’est pas normal que tous les hauts fonctionnaires soient des métropolitains et pas des locaux", ajoute Ludovic.
Pour lutter contre la vie chère, la Collectivité territoriale de Martinique a proposé la suppression des taux d'octroi de mer, une taxe spécifique aux départements d'Outre-mer s'appliquant aux biens importés, sur plusieurs centaines de produits. Mais aussi à des produits locaux. "Les bananes produites en Martinique coûtent plus cher sur place qu'en métropole", précise Nina, désabusée.
En attendant une amélioration de la situation économique, le couvre-feu est en vigueur de 21h à 5h du matin, dans les quartiers de Fort-de-France les plus touchés par les violences. Il doit être effectif jusqu'au 23 septembre au moins, prévient la préfecture.