En l'attaquant, Chirac grandit Sarkozy

« Le Parti pris » d'Hervé Gattegno, c'est tous les matins à 7h50 sur RMC du lundi au vendredi. - -
En France, pendant qu’il est en fonction, le président a tous les pouvoirs. Et quand il n’y est plus, il a tous les droits. Donc il est de bon ton d’admirer la retenue, le flegme de l’ancien chef d’Etat, quand il raconte ses rencontres, ses décisions, ses hésitations et même la sincérité retenue dont il paraît qu’il fait preuve en évoquant ses relations avec Nicolas Sarkozy. En réalité, le livre est un pavé assez indigeste – qui ne raconte que très peu le pouvoir… et qui réécrit parfois l’histoire ; donc, décevant. Et les attaques contre Nicolas Sarkozy, qui vont évidemment assurer le succès du livre, elles sont assez mesquines et, surtout, très en-deçà de ce qui a pu faire leur rivalité – et même leur détestation.
C'est-à-dire que Chirac en dit trop ou pas assez ?
Exactement. Que leurs relations aient été marquées par la hantise du meurtre du père par le fils, tous les Français l’ont compris. Ce que Chirac dit, c’est que leur affrontement avait une cause plus profonde, plus grave. Il écrit : « Nous ne partagions pas la même vision de la France. » Le problème, c’est que c’est bien lui qui a fait de Sarkozy un dirigeant du RPR, puis un ministre d’Etat. On est content d’apprendre qu’il avait une divergence de fond avec celui à qui il a confié la sécurité, puis l’économie du pays – avant de soutenir sa candidature à la présidentielle. C’est le Dr Frankenstein qui critique sa créature !
Il critique aussi le style de Nicolas Sarkozy. Et quelques expressions malheureuses, comme le « Kärcher » ou les « racailles ». Il a tort ?
Bien sûr que non. Mais quand Sarkozy a dit cela, il était son ministre. On se demande pourquoi Chirac ne l’a pas rappelé à l’ordre. Pour le reste, il le décrit comme un agité, obsédé par son ambition ; ça rappelle ce que Valéry Giscard d’Estaing écrivait lui-même dans ses Mémoires sur son ancien rival… Jacques Chirac ! Giscard aussi, d’ailleurs, faisait des commentaires désobligeants sur son style et sur les coups qu’il montait contre lui. Chirac a prononcé de grands discours. Il a aussi dit d’énormes bêtises. Et quelques incongruités – comme la fameuse saillie sur « le bruit et les odeurs » des immigrés. Ce n’est pas dans ses Mémoires, mais on peut quand même s’en rappeler. On peut se rappeler aussi que les chefs d’Etat détestent presque toujours ceux qui leur succèdent. Et qu’ils croient (à tort) qu’en diminuant leurs qualités, ils augmentent les leurs. C’est souvent l’inverse.
Est-ce que ces règlements de comptes ne sont pas une figure imposée de la politique ?
Ça fait partie du jeu. Mais pourquoi est-ce que les hommes d’Etat écrivent des Mémoires ? Pour laisser une trace, pour justifier les décisions contestées qu’ils ont eu à prendre, donner une cohérence. Chirac le fait, mais trop peu. Il revendique le fiasco de la dissolution de 1997 et l’« erreur » de ne pas avoir cherché une forme d’union nationale après le 21 avril 2002. Mais il ne justifie pas l’abandon immédiat, en 1995, de sa promesse de réduire la « fracture sociale ». Il explique mal le référendum catastrophique de 2005 sur l’Europe. Et il ne parle qu’entre les lignes de ce qui est son vrai échec : l’enlisement de la France. Au fond, Sarkozy est critiqué pour n’avoir pas réussi à faire ce que Chirac, lui, n’a même pas tenté : changer, réformer. Il dédie son livre « aux Français », mais il ne leur a pas (assez) consacré sa présidence.
Ecoutez «le parti pris» de ce Jeudi 9 juin 2011 avec Hervé Gattegno et Jean-Jacques Bourdin sur RMC :