Le RN veut interdire des postes "stratégiques" aux binationaux: "C’est contraire au principe d’égalité"

Il se dit "prêt" à gouverner. Jordan Bardella, le président du Rassemblement national et candidat à Matignon pour son camp, a présenté ce lundi son programme lors d'une conférence de presse. Et parmi toutes les mesures présentées, l’une d’entre elles retient particulièrement l'attention. Jordan Bardella dit vouloir empêcher les Français qui ont une autre nationalité d'occuper des emplois publics extrêmement sensibles (défense, nucléaire, renseignements...). La liste sera définie "par décret" a précisé le député RN Sébastien Chenu. "Cette courte liste serait revue très régulièrement en fonction de l'actualité géopolitique et de ses conséquences pour notre pays" a aussi indiqué Marine Le Pen.
Une mesure qui interroge… "On ne va pas faire toute la campagne là-dessus" s'agace Jordan Bardella quand il est interrogé à plusieurs reprises sur le sujet des binationaux. Très peu de postes seraient concernés, veut-il rassurer. "Mais il y a plus de 3 millions de Français potentiellement concernés" rétorque la CFDT. La faisabilité de cette restriction est aussi mise en doute. "En droit, on ne fait pas la différence entre un Français et un binational" disent les constitutionnalistes. "Alors, ils feront quoi? Des listes de gens qui ont la double nationalité? La dernière fois, c'était sous Vichy" s'étrangle un poids lourd de la gauche. Les juristes ajoutent que pour appliquer cette mesure, il faudrait a minima modifier la Constitution.
"La distinction entre Français viole le principe d’égalité"
Car la distinction entre deux types de Français est une rupture du principe d'égalité, répète Anne Levade, professeure de droit public à la Sorbonne: "Les binationaux sont d’abord et avant tout des nationaux français". Quant au risque de conflit d'intérêts, soulevé par le RN, "quand on est sur un emploi stratégique, on fait toujours l’évaluation du profil individuel" souligne-t-elle. "Mais c’est du cas par cas. Le caractère général de la mesure ne me semble pas faisable sur le plan juridique", ajoute-t-elle.
"Il n’existe que des nationaux ou des non-nationaux dans notre droit, appuie la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. Un binational est un national comme un autre, puisqu’il est Français. Ça signifie qu’on distingue parmi les Français selon s’ils ont une ou deux nationalités. Et ça, le Conseil constitutionnel considère que c’est contraire au principe d’égalité. Pour lui, il n’y a aucune différence entre un Français et un Français naturalisé, ni entre les différentes modes d’acquisition de la nationalité. Donc la distinction viole le principe d’égalité."
"Si je veux changer de poste, ce ne sera pas possible"
Mais l'idée que les binationaux sont potentiellement des traîtres est instillée… Mélanie, binationale africaine et haut-fonctionnaire depuis près de cinq ans, enrage: "Il suffit d’une directive, d’une réunion, pour dire qu’on ne veut pas la promotion de Français binationaux. L’oral, ça fonctionne bien dans la fonction publique". Et les consignes orales pourraient bloquer des carrières.
"Si demain, je veux changer de poste, je sais très bien que ça ne sera pas possible, déplore Mélanie. Je suis très bien à servir l’Etat. J’adore aller dans des réunions, rencontrer d’autres pays avec mon nom qui ne sont pas français et le drapeau français. Et il y a des gens qui vont décider que non, parce qu’en fait je n’ai pas le bon nom de famille, pas le bon sang qui coule dans mes veines…" Selon cette haut-fonctionnaire, le message de Jordan Bardella peut faire fuir des Français, sans avoir eu besoin de poser un texte sur la table.