Si l'abstention croît, c'est qu'on ne croit pas les candidats

Le Parti Pris d'Hervé Gattegno, du lundi au vendredi à 8h20 sur RMC. - -
C’est un peu facile de culpabiliser l’électeur qui n’a pas envie d’aller voter. C’est vrai que les sondages donnent des indices qui vont dans le sens d’une démobilisation: désintérêt pour la campagne, peu d’engouement pour le duel Hollande-Sarkozy… Mais il ne faut pas absoudre trop vite les candidats au prétexte d’une désaffection générale envers la politique. Après tout, nous avons dix prétendants qui incarnent tous les courants de la vie politique ; le président en exercice est candidat ; il y a des personnalités nouvelles : tout cela devrait aiguiser la curiosité des électeurs. Si ce n’est pas le cas, on est bien obligé de dire que c’est que les candidats ne donnent pas envie. Je suis convaincu que si les Français boudent la présidentielle, ce sera moins par désintérêt que par désillusion.
Comment faire la nuance ? Qu’est-ce qui provoque cette désillusion ?
Ce que je veux dire, c’est que je ne crois pas à une dépolitisation de l’opinion française. Au contraire, il y avait une attente pour que cette campagne redonne du crédit à la décision politique. D’une certaine façon, la crise fournissait l’occasion idéale. Tous les candidats ont dit, à un moment ou à un autre, qu’il fallait que la France reprenne en main son destin, qu’il n’y a pas de fatalité au déclin, qu’on ne peut pas laisser la finance gouverner le monde, etc. Mais la plupart des Français ont compris aussi qu’il faudra des politiques d’austérité, des plans d’économie drastiques pour réduire la dette et les déficits. Or le problème, c’est que dans les programmes des candidats, vous cherchez désespérément les vraies mesures d’économie. C’est aussi crédible que d’espérer diminuer sa note d’électricité en laissant les lumières allumées. Personne n’y croit.
Cela veut dire que les candidats ont cédé à la démagogie ?
Sans aucun doute. En tout cas, ils manquent de rigueur – au sens propre et au figuré. Ils expliquent tous qu’il faut réduire la dépense publique mais sans dire comment. Ils promettent tous que si on augmente les impôts, ce sera pour les autres. Le résultat, c’est l’aggravation d’un mal qui progresse dans toutes les démocraties mais plus chez nous qu’ailleurs : le décalage entre le discours des dirigeants et leurs actes. Quand les citoyens pensent que la parole des politiques est vaine ou insincère, ils se détournent du processus électoral : cela donne des votes importants pour les extrêmes puis de l’abstention. C’est le mouvement qui s’observe en France depuis 30 ans. Avec le FN et l’extrême-gauche, sans oublier non plus que Mitterrand a été élu 2 fois avec une abstention de près de 20%. Et Chirac 2 fois avec une abstention de 21,5% en 1995 et de 28,5% en 2002 !
Est-ce que la montée de l’abstention peut handicaper les deux favoris ?
C’est Hollande et Sarkozy qui en souffriraient le plus. Au fond, c’est normal : c’est sur eux que repose l’attente principale puisqu’ils représentent les deux grands partis de gouvernement. Donc on les trouve plus facilement décevants. Sarkozy reste impopulaire, même s’il réussit à mobiliser. Et Hollande réussit à être populaire mais il reste immobile. Aucun des deux ne suscite une vraie adhésion. C’est cela qui favorise l’abstention. C’est plus simple qu’on ne le dit : pour que l’élection soit un grand cru, il faut que les candidats… soient crus. C’est peut-être un peu tard.
Ecoutez ci-dessous le podcast du Parti Pris d'Hervé Gattegno ce mardi 3 avril 2012 :