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Pourquoi il faut ré-autoriser les signes religieux à l’école

Des jeunes collégiennes voilées arrivent au collège-lycée musulman de Décines, dans la banlieue lyonnaise.

Des jeunes collégiennes voilées arrivent au collège-lycée musulman de Décines, dans la banlieue lyonnaise. - Jean-Philippe Ksiazek - AFP

Le politologue Thomas Guénolé revient sur la polémique autour d'une jeune fille interdite de cours car elle portait une longue jupe noire considérée comme un signe religieux ostentatoire.

"La laïcité est la neutralité de l’État et des services publics envers toutes les opinions spirituelles : les croyants, les athées, ou encore les indécis. Séparation : l’État ne reconnaît aucune opinion spirituelle. Impartialité : il n’en favorise aucune. Absence de financement : il n’en subventionne aucune.

La laïcité implique, par voie de conséquence, l’interdiction du port de signes religieux visibles pour tous ceux qui représentent, sous une forme ou sous une autre, la République laïque. C’est vrai pour les élus de la République, du président jusqu’au simple conseiller municipal. C’est vrai pour les agents du service public, qu’il s’agisse d’un postier ou d’un professeur des écoles. Bis repetita : c’est en tant que représentants de l’État et des services publics, qui sont laïcs, qu’ils ont tous ce devoir de neutralité spirituelle jusque dans leur habillement.

Cependant, depuis une dizaine d’années, la loi a étendu ce bannissement des signes religieux à la population française elle-même. C’est le cas dans un endroit bien précis : l’école publique, jusqu’au baccalauréat. Et c’est le cas pour une population bien précise : les élèves ; et cela, même s’ils sont majeurs. C’est contradictoire si l’on se souvient que l’argument « ils sont majeurs » a été utilisé récemment par le gouvernement pour écarter ce bannissement à l’université.

Un véritable détournement de laïcité

Cette interdiction faite aux élèves de porter des signes religieux constitue, en réalité, un véritable détournement de laïcité. L’État et les services publics ont le devoir d’être laïcs, y compris leurs représentants. En revanche, en aucun cas les habitants eux-mêmes n’ont à subir l’interdiction de porter des signes religieux au titre de la laïcité. Va-t-on demander à un prêtre d’ôter sa soutane dans un TGV, qui est un service public ? Va-t-on demander à un juif pratiquant de retirer sa kippa en allant à La Poste, qui est un service public ? L’absurdité du raisonnement « service public laïc, donc usager interdit de signes religieux » devrait sauter aux yeux de tout un chacun.

D’ailleurs, la loi de 1905 ne parlait rigoureusement pas d’interdire tel ou tel vêtement ou signe religieux à la population elle-même. De fait, pendant plus de quatre-vingts ans, des élèves de l’école publique se rendant en classe en portant une kippa ou une croix chrétienne, cela ne posait rigoureusement aucun problème et ne soulevait absolument aucun débat. Il était parfaitement entendu et parfaitement compris que si les professeurs, les surveillants, le personnel administratif, ont un devoir de neutralité spirituelle jusque dans leur habillement, en revanche les élèves, leurs parents, bref les usagers, n’ont pas ce devoir.

Ce n'est que depuis 1989 que tout à coup, l’on parle d’interdire « les signes religieux » un peu partout : à l’école, dans l’entreprise, à l’université, voire même dans la rue !

La loi de 1905 n'interdisait pas tel ou tel vêtement

Appelons un chat un chat. Personne ne parlait d’interdire aux élèves les signes religieux, jusqu’à ce que les filles des immigrés arabes de la vague des années 1970 arrivent au lycée, certaines portant le foulard. 1989, c’est l’affaire des foulards de Creil, et cela se passe dans un lycée.

Autrement dit, pour être parfaitement clair, depuis 1989 la laïcité est détournée pour interdire des marqueurs culturels des Français arabes : le hijab, le voile, etc.

Bref, derrière le détournement pur et simple du principe de laïcité, c’est une hypocrisie pseudo-laïque et anti-Arabes.

Il arrive parfois que pour accroître la charge d’angoisse dans le débat, les épouvantails de la burqa et du niqab fassent irruption dans la controverse. Pourtant, le débat n’est pas le même. Vous devez être identifiable : c’est un problème d’ordre public. La burqa et le niqab doivent donc être interdits au même titre que, par exemple, le port de la cagoule l’est aussi.

Il arrive aussi que l’hostilité aux marqueurs culturels arabes se cache derrière un alibi féministe. C’est le fameux argument de l’interdit nécessaire d’un « symbole de soumission des femmes ». Pourtant, là encore, le débat n’est pas le même. Vous pouvez (c’est mon cas) souhaiter que toute femme renonce à porter un symbole vestimentaire de soumission patriarcale ; et que tout parent renonce à le faire porter par sa fille. Mais dans ce cas, le combat est celui du féminisme, pas celui de la laïcité. Cette question est donc pertinente, mais hors sujet.

Emblème de rébellion

Enfin, il faut rappeler que l’interdiction des signes religieux aux élèves dans les écoles publiques est doublement contre-productive.

D’une part, cela incite des élèves en pleine crise d’adolescence à porter le signe religieux sitôt sortis de l’école:

c’est donc l’ériger en emblème de rébellion, position très avantageuse et contraire à l’intention initiale. 

D’autre part, cela incite des parents à retirer leurs enfants de l’école publique et de son influence laïcisante.

Bref, en plus de détourner et de dénaturer le principe de laïcité, l’interdiction faite aux élèves de porter des signes religieux dans les écoles publiques constitue un excellent exemple de fausse bonne idée. Il faut donc revenir à l’esprit initial de la loi de 1905, en ré-autorisant le port de ces signes par les élèves."

Thomas Guénolé