Sarkozy met en scène un divorce électoral avec les syndicats

Lors d'une manifestation de salariés de l'usine d'ArcelorMittal à Florange près du siège de campagne de Nicolas Sarkozy, le mois dernier. Lancé à la chasse aux voix de droite, Nicolas Sarkozy n'a de cesse de mettre en scène un divorce très médiatisé avec - -
Lancé à la chasse aux voix de droite, Nicolas Sarkozy n'a de cesse de mettre en scène un divorce très médiatisé avec des syndicats sur lesquels il s'est pourtant appuyé pendant son quinquennat pour obtenir une relative paix sociale.
Des analystes interrogés par Reuters jugent cependant ce divorce conjoncturel et estiment que le chef de l'Etat sortant sera contraint de renouer le dialogue s'il est réélu le 6 mai.
Nicolas Sarkozy, qui a multiplié jusqu'à la réforme des retraites de 2010 les rencontres avec les syndicats, a changé radicalement de ton dès le début de sa campagne. Il s'en est pris d'emblée aux "corps intermédiaires", taxés d'immobilisme, et a promis de recourir au référendum pour faire passer des réformes en cas de blocage. Il n'y a guère d'intervention médiatique ou de meeting sans qu'il revienne à la charge. Il prend cependant soin de distinguer "bons" et "mauvais" corps intermédiaires et cajole ainsi les syndicats de médecins ou agricoles, comme la FNSEA.
Il a ainsi participé à un colloque du puissant syndicat agricole à Montpellier mais n'a pas répondu, contrairement à son adversaire socialiste François Hollande, à des invitations de la CFDT et de la CGT. "C'est la première fois qu'un président de la République sortant refuse d'échanger avec la CFDT", déplore celle-ci, tout en jugeant cette attitude "dans la droite ligne de ses attaques répétées (...) contre les corps intermédiaires".
Des attaques qui ont pris un tour plus violent et ciblé contre la CGT et la CFDT, après une tentative de manifestation de 150 salariés d'ArcelorMittal devant son siège de campagne. Nicolas Sarkozy est allé ces jours-ci jusqu'à accuser les représentants syndicaux d'ArcelorMittal avoir voulu "casser" son QG, ce que démentent catégoriquement les intéressés.
RAIDISSEMENT
Alors que les deux principaux syndicats sont les grands bénéficiaires de la réforme de la représentativité votée sous son quinquennat, il accuser leurs "permanents" de "tromper" les salariés en "faisant de la politique" au lieu de les défendre. "On voit bien qu'il y a un raidissement de certains syndicats très politisés qui veulent faire battre Nicolas Sarkozy", dit le député UMP Eric Ciotti, membre de son équipe.
La CGT, qui n'avait pas pris position contre la réélection de Jacques Chirac, en 2002, a certes, cette fois, sauté le pas et appelé le 13 mars à voter contre le président sortant. "Sa réélection ouvrirait, à coup sûr, une nouvelle séquence de lourds reculs sociaux", explique son instance dirigeante. Dans une interview publiée lundi par Le Monde, son secrétaire général, Bernard Thibault, justifie aussi ce choix par la façon dont Nicolas Sarkozy "s'est transformé en président aux pleins pouvoirs, arbitre ou juge en toutes circonstances (...) à l'opposé d'un président soucieux d'équilibre."
La CGT est cependant la seule des grandes centrales à avoir pris explicitement parti dans la campagne présidentielle. Pour les dirigeants de la CFDT, une telle démarche ou une réaction trop vive aux attaques de Nicolas Sarkozy reviendrait à tomber dans un "piège" tendu, selon eux, par le chef de l'Etat. La CFDT n'en a pas moins de nouveau jugé "nocif", lundi, de faire des corps intermédiaires "des boucs émissaires à des fins électoralistes" et dénoncé comme "dangereux pour la démocratie" les attaques du chef de l'Etat contre ses militants. Son secrétaire général, François Chérèque, avait déjà exprimé son irritation, vendredi, dans une interview aux Echos, face au ton du président sortant et à sa volonté affichée de passer par dessus les "corps intermédiaires"."C'est potentiellement inquiétant pour l'organisation de notre démocratie ces prochaines années", déclarait-il.
"ARSENAL POPULISTE"
Pour lui, comme pour d'autres dirigeants syndicaux, la rupture date en réalité de la réforme des retraites de 2010, qu'ils accusent Nicolas Sarkozy d'avoir fait passer en force - ce que ne nie pas, d'ailleurs, le chef de l'Etat. Mais pour les analystes politiques, experts en relations sociales et dirigeants syndicaux, l'escalade de ces dernières semaines est clairement liée à la campagne présidentielle.
Le président de la CFTC, Philippe Louis, et son homologue de la CGC, Bernard Van Craeynest, jugent ainsi l'attitude du chef de l'Etat "purement électorale". "Nicolas Sarkozy refait exactement comme en 2007, quand il faisait siffler la CGT pour rassembler la droite derrière lui", renchérit un proche de Bernard Thibault. La dénonciation des syndicats et l'appel au peuple font partie de "l'arsenal populiste" de Nicolas Sarkozy, juge pour sa part un responsable de la majorité qui a requis l'anonymat.
Pour Guy Groux, du Centre de recherches politiques Cévipof, ses attaques ne sont possibles qu'en raison du faible taux de syndicalisation (8%) des salariés français. Il estime en outre qu'elle ne dureront que le temps de la campagne, tout gouvernement, de droite ou de gauche, ayant selon lui besoin du dialogue social pour conduire sa politique. Un avis partagé par la plupart des analystes interrogés. Certains estiment cependant que la campagne du chef de l'Etat laissera des traces. "Il est clair que s'il est réélu, on risque de connaître une sorte de guerre froide pendant un petit moment", dit ainsi Bernard Van Craeynest.
"Attention aux excès de comportement populiste", renchérit l'ancien porte-parole de l'UMP Dominique Paillé. "En allant trop loin, il sera impossible de faire machine arrière."