Adoptions internationales: la France appelée à "reconnaître" des "carences collectives"

ILLUSTRATION. - Rodrigo BUENDIA / AFP
La France doit "reconnaître" officiellement et "sans détours" les "carences collectives" qui ont permis des adoptions internationales illicites et prendre "en considération" les "conséquences" dommageables pour les adoptés, selon un rapport publié mercredi.
Le gouvernement a chargé en novembre 2022 trois inspections (Affaires étrangères, justice, enfance) de faire la lumière sur les "pratiques illicites dans l'adoption internationale".
Leur rapport de 118 pages, achevé en octobre 2023, a été remis officiellement mercredi à la ministre chargée de l'Enfance et des Familles Sarah El Haïry et au ministre délégué chargé de la Francophonie et des Français de l'étranger, Franck Riester, en présence de certaines associations d'adoptés.
"Un marché potentiellement très lucratif"
"L'essor de l'adoption internationale dans un contexte non ou peu régulé s'est accompagné d'importantes dérives", reconnaissent les inspecteurs, qui ont procédé à 179 auditions.
"L'absence ou la faiblesse du contrôle exercé par les autorités publiques, conjuguées à la forte demande émanant des pays occidentaux, ont mis sous pression des environnements locaux fragiles, marqués par la pauvreté et non exempts de corruption", écrivent-ils.
L'adoption est devenue "un marché potentiellement très lucratif, suscitant l'émergence de nombreux intermédiaires. Le versement d'importantes sommes d'argent pour faciliter les opérations, ou le recueil d'un consentement parental en réalité très peu éclairé, semblent avoir été des pratiques courantes", ajoutent les auteurs du rapport.
L'adoption a "donné lieu à de véritables trafics fondés sur la falsification de pièces pour rendre un enfant adoptable, la ‘production’ d'enfants pour adoption, le vol d'enfants à la maternité...", poursuivent-ils. 120.000 Français ont été adoptés à l'étranger depuis 1945, selon ce rapport.
L'adoption internationale s'est développée à partir des années 60, avec un pic de 4.079 enfants adoptés en France en 2004, avant de refluer, à mesure qu'elle était encadrée par des traités internationaux et davantage contrôlée, pour s'établir à 232 enfants en 2022.
"Intermédiaires douteux"
La procédure d'adoption internationale est "aujourd'hui organisée du côté français de façon à minimiser les risques", juge la mission, tout en évoquant des "risques nouveaux" (simulation de grossesse, GPA). La mission préconise que "les carences collectives" dans la protection due aux enfants soient "reconnues" "officiellement et sans détours" et "leurs conséquences (sur les adoptés) assumées".
Il est "établi" que "les autorités publiques avaient été précocement alertées et ont tardé à prendre les mesures qui s'imposaient", observe la mission. Mais elle ne va pas jusqu'à suggérer que la France présente des "excuses" aux victimes, comme le souhaitent les collectifs d'adoptés, qui y voient une étape dans la réparation.
"Ce rapport met en lumière des manquements collectifs dans la protection des enfants adoptés à l'étranger, avec des conséquences qui peuvent perdurer jusqu'à leur vie d'adulte", déclare Mme El Haïry à l'AFP.
"C'est un rappel poignant de notre devoir envers les adoptés" et "une incitation à agir avec détermination pour rectifier les erreurs du passé", ajoute-t-elle.
La recherche des origines constitue "le défi majeur des années à venir", prévient la mission, qui observe le "développement d'un nouveau marché de la recherche des origines" où "prospèrent des intermédiaires parfois douteux".
Création d'une "commission indépendante"
Les inspecteurs préconisent de mettre en place "un cadre organisé et sécurisé pour la recherche des origines": la porte d'entrée pourrait être le "conseil national pour l'accès aux origines personnelles" (CNAOP).
Ils recommandent "d'engager une réflexion" sur l'usage des tests ADN interdits en France. Les associations d'adoptés réclament de pouvoir recourir à ces tests, seul moyen selon eux de vérifier leur filiation biologique.
La commission recommande aussi de disposer dans chaque pays d'origine d'un "interlocuteur reconnu" pour accompagner les adoptés. Ceux-ci disent se trouver livrés à eux-mêmes, 40 ans après les faits, sans parler la langue, face à des administrations peu coopératives.
Parmi les 28 recommandations figure la création d'une "commission indépendante" pour écouter les victimes de pratiques illicites et d'un "accompagnement adapté". Le rapport recommande également d'encourager la recherche sur les conséquences pour les adoptés et leurs familles de la découverte de pratiques illicites dans les procédures.
Alors que ces adoptions ont été entachées de délits et de crimes (vols d'enfants, enlèvements, falsifications de papiers...), la mission recommande de faire courir le délai de prescription à la majorité de la victime.