"Expliquez-nous": quelles leçons peut-on tirer de l'"affaire Mila"?
Cela va peut-être mettre un terme à cette affaire. Une bonne nouvelle pour cette jeune fille de 16 ans qui va pouvoir reprendre ses cours. Elle avait dû quitter son lycée le 19 janvier dernier, après avoir reçu des milliers de menaces dont certaines très précises qui donnaient l’adresse de son établissement.
Jean-Michel Blanquer a annoncé ce jeudi soir avoir trouvé une solution pour la scolariser, sans préciser ni où ni comment, évidemment… Moins on en saura, mieux elle se portera.
Mais c’est aussi une bonne nouvelle pour le débat public. Parce qu’on va peut-être pouvoir passer à autre chose. Trois semaines de polémiques sur des propos de cours d’école, tenus par une jeune fille de 16 ans sur Instagram, on peut juger que c’était déjà très long.
Beaucoup de bêtises ont été dites
A commencer par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet qui a inventé un délit qui n’existe pas: l’atteinte à la liberté de conscience. "Insulter une religion", a-t-elle dit, c’est "une atteinte à la liberté de conscience" et c’est grave. La ministre de la Justice a rapidement regretté ses propos maladroits.
Même méconnaissance du droit de la part de tous ceux qui ont défendu le droit au blasphème. Ils sont nombreux à avoir évoqués ce droit inaliénable, constitutionnel. La jeune Mila elle-même, a expliqué dans sa seule interview, qu’elle avait voulu blasphémer parce que c’est un droit.
Et bien non, "blasphémer", c’est-à-dire, dire du mal d’une religion, ce n’est ni un droit ni un délit. C’est un mot qui n'apparaît pas dans la loi, ni dans la constitution ni dans la déclaration universelle des droits de l’homme.
La déclaration des droits de l’homme garantit simplement la liberté d’expression. “Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Tout citoyen peut donc parler et écrire librement… sauf à abuser de cette liberté”.
Et la loi de 1881 précise que sont interdit: l’injure contre une personne en raison de sa religion, ou l’incitation à la haine contre un groupe de personnes en raison de leur religion ou de leur race.
Il n’est donc pas vrai que l’on peut dire absolument ce que l’on veut sur une religion ou sur ses pratiquants. Par exemple, dans l’affaire des caricatures de Charlie Hebdo la justice avait poursuivi l'hebdomadaire pour injure. Le tribunal l’avait finalement relaxé mais il y avait eu débat. La liberté de caricaturer n’est pas absolue.
La justice a estimé que les propos de Mila ne tombaient pas sous le coup de la loi
Le parquet de Vienne a d’abord ouvert une enquête contre Mila pour ses propos. La question c’est de savoir si c’était une injure contre les musulmans de dire: “Votre religion, c’est de la merde. Votre dieu je lui met un doigt dans le trou du cul. Merci au revoir.”
Et le parquet a répondu très rapidement: non, ces propos ne tombent pas sous le coup de la loi. C’est une critique de la religion pas une injure envers ses pratiquants. Certains ont estimé que le simple fait que le parquet se soit posé la question était scandaleux et attentatoire à la liberté d’expression.
Ça se discute… “Votre religion, c’est de la merde”: cela aurait pu être qualifié d’injure publique. Ça n’a pas été le cas.
Reste maintenant l'enquête sur les auteurs des menaces
Là, il n’y a plus de débat juridique. Ces menaces étaient sérieuses et nombreuses. Et sont des délits: ceux qui l’ont menacé de mort risque 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d’amende. Ceux qui l’ont menacé de viol ou de la défigurer à l’acide risque 6 mois de prison et 7.500 euros d'amende.
Le parquet de Vienne en Isère a confié l'enquête à la section de recherche des gendarmes de Grenoble. Ils sont aidés par le centre de lutte contre la délinquance numérique à Paris. C’est très classique et il sera facile de retrouver les auteurs. Le problème, c’est le volume. Il va falloir faire du tri, mais au bout du compte, il y aura certainement des convocations et des poursuites.
On ne menace pas de mort une jeune fille de 16 ans. Même si on a le droit de penser et de dire que ces propos étaient juridiquement limite.