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Dire que 30% des dépenses de santé sont inutiles, c'est comme dire que 30% des médecins sont inutiles

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Selon la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, "30% des dépenses de santé ne sont pas pertinentes". Une sentence lancée juste avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018, fin octobre. Une vision simpliste et uniquement comptable de la santé qui inquiète aujourd'hui le Dr Jérôme Marty, président de l'association de médecins UFML, joint par RMC.fr.

Le Dr Jérôme Marty est le président de l'association de médecins UFML (Union Française pour une Médecine Libre).

"Ce qui me gêne, ce sont ces chiffres globaux qu'on lance en pâture à l'opinion, et qui créent de l'inquiétude chez les patients parce qu'on n'en donne pas le détail. Dire que 30% de dépenses sont inutiles, ça voudrait dire aussi que 30% des médecins et des hôpitaux sont inutiles, que 30% des lits d'hôpitaux sont inutiles… on peut pousser le raisonnement très loin si on va par là.

Ce chiffre provient d'un rapport de l'OCDE et d'un travail de l'Académie de médecine qui avaient ciblés tout un tas de postes de dépenses précis. Mais on ne peut pas mettre, comme le fait la ministre de la Santé, sur le même pied d'égalité les dépenses administratives, la consommation de génériques, les événements indésirables etc. C'est additionner les torchons et les serviettes.

"Le patient peut se dire que 30% de ses médicaments sont inutiles"

En annonçant les choses ainsi, le patient peut se dire que 30% des actes de son généraliste sont inutiles, que 30% des médicaments qui lui sont prescrits sont également inutiles. A l'heure où l'on manque de médecins partout, qu'il y a une pénurie de l'offre de soins dans ce pays, on ne peut pas sortir du chapeau ce chiffre sans l'expliquer.

Ces dépenses inutiles proviennent de plusieurs choses. Il y a d'abord le problème organisationnel, notamment des hôpitaux, puisque la plupart des dépenses vient des établissements et pas de la médecine de ville. Il y a aussi un problème de déstructuration des équipes hospitalières qui peut entraîner des événements indésirables entraînant entraîner des surcoûts. Il peut aussi y avoir des problèmes de prescriptions médicamenteuses de générique, jugées insuffisantes - mais la crise du Lévothyrox a montré qu'on ne pouvait pas non plus être certain de l'offre en générique. Il y a aussi l'utilisation de nouvelles molécules extrêmement chers par l'industrie pharmaceutique qui font exploser les dépenses. Enfin, il y a ces sujets qui traînent, comme le dossier médical partagé, une espèce de bateau qui n'arrive jamais au port, qui a coûté des dizaines de millions d'euros, et qui n'est toujours pas mis en place. Et ça, ce n'est pas de la faute des acteurs de soins ou des administratifs mais bien un problème étatique.

"Je ne voudrais pas que des intérêts économiques guident le soin"

Je ne voudrais pas que des intérêts économiques guident le soin. Je crois qu'on est suffisamment majeurs, nous médecins, pour juger de l'importance d'un examen et de sa nécessité. Si on commence à raisonner uniquement avec l'intérêt économique, ça pose problème. Ce que je trouve paradoxal, c'est qu'on mette le doigt sur les dépenses, mais qu'on continue de rembourser par exemple les produits anti-Alzheimer - dont le remboursement a été prorogé par le gouvernement - alors que tout le monde sait que ces produits ne servent à rien.

On ne peut pas avoir deux poids deux mesures. Avant de dénoncer ce type de raccourci, il faut commencer par s'appliquer les choses à soi-même. Que l'Etat commence par retirer les molécules auxquelles il a donné l'autorisation de mise sur le marché, qui sont inutiles et qui coûtent des dizaines de millions d'euros par an à la Sécurité sociale."

Propos recueillis par Philippe Gril