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En l’espace de 40 ans, la procrastination aurait augmenté de 300 à 400%

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- - Claude Robillard - Flickr - CC

Samedi a lieu la septième édition de la journée de la procrastination, qui consiste à reporter certaines actions au lendemain. Diane Ballonad Rolland, auteure de J'arrête de procrastiner, 21 jours pour arrêter de tout remettre au lendemain, explique ce phénomène à RMC.fr, et la façon dont on peut en guérir.

Diane Ballonad Rolland, auteure de J'arrête de procrastiner, 21 jours pour arrêter de tout remettre au lendemain, aux éditions Eyrolles: 

"La procrastination, ce nom un peu barbare, qu’on a toujours du mal à prononcer, est une tendance à différer, à remettre au lendemain et à reporter les obligations qu’on pourrait ou qu’on doit accomplir maintenant.

Ce n’est pas une maladie, c’est un comportement. Pour éviter de passer à l’action dans un domaine particulier, on va développer des stratégies de fuite, ou d’évitement, parfois très élaborées, pour nous maintenir dans l’inertie. Souvent, c’est un phénomène conscient, plutôt complexe, parce qu’il y a plein des raisons pour lesquelles on procrastine.

"Derrière la procrastination, il peut y avoir beaucoup de souffrance"

Quand on procrastine, on sait qu’on le fait, ce qui génère un fort sentiment de culpabilité. Il y a malgré tout un conflit intérieur entre une partie de soi qui veut et a envie d’aller au bout de cette tâche, qui finit par nous obséder et nous culpabiliser, et la partie inconsciente, qui va résister au passage à l’action.

Ce qui est important dans ma démarche, c’est de l’aborder de manière sérieuse, car c’est un sujet à la mode, un peu drôle, et pourtant derrière il peut y avoir beaucoup de souffrance, de handicap. Je voulais aussi déculpabiliser, et montrer que nous sommes tous concernés: on est tous procrastinateurs, avec plus ou moins d’intensité. Cela touche environ 95% de la population. C’est plutôt sain au fond, car dans certains cas, cela nous protège d’une forme de suractivité.

"Il faut identifier très clairement tout ce qu'on a tendance à reporter"

La procrastination peut être le symptôme d’une maladie: celui de la dépression par exemple, du trouble de déficit attentionnel, des troubles obsessionnels compulsifs, de phobies, avec des stratégies d’évitement mises en place. Cela ne se soigne pas grâce à un médicament, mais on peut être accompagné par des thérapeutes ou des médecins psychiatres, ou essayer les thérapies comportementales et cognitives.

Il n’existe pas une seule bonne stratégie pour lutter contre la procrastination. Tout dépend du profil, des sujets sur lesquels on a tendance à procrastiner: ce que je conseille, c’est de se livrer à un état des lieux sans concession quant à notre façon de procrastiner. Il n’y a pas de recette miracle: il faut identifier très concrètement tout ce qu’on a tendance à reporter, dans tous les domaines (vie professionnelle, étude, santé, vie sociale, administratif…), et de creuser la raison pour laquelle on reporte ces tâches-ci en particulier. Cela peut être lié à une peur d’échouer, à un manque de clarté dans la façon d’exécuter cette tâche, à du perfectionnisme…

Le but de cet état des lieux est de remonter le plus possible à la source, et d’identifier avec une précision chirurgicale tous les freins et les blocages qui nous empêchent de nous y mettre. Dans un second temps, on va pouvoir cibler les meilleures méthodes pour y remédier. 

"Un phénomène qui se développe de plus en plus"

Ce phénomène existe depuis toujours, mais se développe de plus en plus. En l’espace de 40 ans, il aurait augmenté de 300 à 400%, du fait des nombreuses distractions qui sont accessibles aujourd’hui, avec les technologies de l’information, internet, les outils numériques, qui ont un impact sur notre capacité d’attention. Aujourd’hui, ces activités nous détournent de ce qu’on a prévu de faire. C'est une vraie tendance à la dispersion et à l'éparpillement.

Toutes les tranches d'âge sont concernées: on ne naît pas procrastinateur, ce n’est pas génétique ni inné. Cela relève d’habitudes prises pendant les études, qu’on fait perdurer pendant la vie professionnelle. D’ailleurs, 50% des étudiants sont touchés par la procrastination. 

"Une société qui valorise l'action à tout prix"

Ce comportement a aussi une réelle influence sur l’estime de soi. Plus on rentre dans ce phénomène, moins on croit en sa capacité à mener à terme un projet, et cela augmente dans le temps. Comment est ce que je peux me pardonner et me refaire confiance, avec bienveillance? Les personnes qui procrastinent beaucoup ne sont plus dans ce regard bienveillant. Il faut qu'elles se redonnent confiance, pas à pas.

Personnellement, je trouve plutôt sain qu’on procrastine de temps en temps, car nous sommes dans une société qui valorise l’action à tout prix. Il me semble salutaire de pouvoir s’accorder des temps pour ne rien faire, souffler, et s’oxygéner". 

Propos recueillis par Alexandra Milhat