"On se sent humiliés": la colère des généralistes accusés de prescrire trop d'arrêts-maladies

Bercy est parti à la chasse aux arrêts-maladies prescrits de façon abusive. En juin dernier, le ministère de l'Économie et des Finances a annoncé souhaité contrôler ce qu'il considère être une dérive:
"Il y a des abus. Il faut les contrôler et les sanctionner", disait à l'époque Bruno Le Maire.
Le gouvernement envisageait de responsabiliser les employeurs, de baisser l'indemnisation des personnes arrêtées et de contrôler plus les médecins prescripteurs. Alors que le nombre d'arrêts de travail prescrits est en hausse de 8% sur un an, c'est cette troisième voie qui a été choisie.
L'Assurance maladie a donc intensifié les contrôles et convoqué plus d'un millier de praticiens pour un entretien téléphonique cet été.
"Un coup de pression"
Ces médecins sont accusés d'avoir abusé des arrêts, en prescrivant deux à quatre fois plus d'indemnités journalières que la moyenne régionale. C'est le cas d'Anaïs Bellour. Il a été proposé à cette médecin généraliste de Cherbourg un "entretien confraternel", c'est-à-dire "un temps d'échange avec un médecin conseil de l'Assurance maladie que je ne connais pas, pour évoquer certains patients en arrêt de travail", explique-t-elle ce vendredi dans Apolline Matin sur RMC et RMC Story.
"C'est peut-être un coup de pression. On se sent blessés et humiliés. Pour moi, aucun arrêt de travail n'est injustifié. Ce qui est grave c'est d'essayer d'entrer dans une logique comptable", dénonce-t-elle.
"Les gens souffrent de plus en plus au travail"
En colère, elle dit constater que de plus en plus de ses patients "souffrent au travail": "On ne peut pas calculer quand on est devant un patient malade, et savoir si on est entrés oui ou non dans des objectifs chiffrés."
"Les gens souffrent de plus en plus au travail. Beaucoup d'harcèlement, burn-out, troubles musculo-squelettiques, des troubles anxieux, dépressifs qui génèrent des arrêts de longue durée. Mais je ne pense pas qu'on puisse réduire ces arrêts en jetant l'opprobre sur les médecins qui les prescrivent."
"Une chasse aux sorcières"
Si elle assume de prescrire "beaucoup" d'arrêts maladie -et plus qu'avant- et d'être au-delà de la moyenne de son département, elle n'a pas l'impression, devant ses patients, d'abuser des arrêts de travail.
"Il y a peut-être des abus, mais c'est une part infime. Là, le gouvernement et l'Assurance maladie attaquent une nouvelle fois les médecins pour faire peu d'économies, soit 200 millions d'économies par an. Ce qui est compliqué aujourd'hui c'est l'ubérisation de la santé via les plateformes de téléconsultation", estime-t-elle.
Pour ces médecins plane "la menace d'amendes via des mises sous objectif": "on va demander au médecin de réduire ses prescriptions sous peine de pénalité financière", explique Anais Bellour.
La Fédération des médecins de France, Syndicat des Médecins Libéraux (SML) et la Fédération française des médecins généralistes (MG France) ont incité leurs adhérents à refuser tout contrôle renforcé, chose que la médecin normande fera. MG France avait d'ailleurs dénoncé, en juin dernier, "une chasse aux sorcières". Selon les chiffres donnés par le ministre de l'Économie, il y a eu 8,8 millions d'arrêts maladie en 2022, contre 6,4 millions dix ans plus tôt.