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Boeing, convalescent, est happé par la guerre commerciale entre Pékin et Washington

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Selon Donald Trump, la Chine s'est rétractée sur un contrat avec Boeing, en refusant la livraison d'avions commandés. Une situation complexe pour le constructeur, déjà en difficulté. "Ça va les enfoncer dans le rouge", explique Xavier Tytelman, consultant en aéronautique, à RMC ce mercredi 16 avril.

Le constructeur aéronautique américain Boeing, qui a connu une période périlleuse, semble être entraîné mardi dans la guerre des droits de douane entre la Chine et les Etats-Unis, dont la balance commerciale pourrait souffrir. Boeing est en effet le plus gros exportateur américain.

Donald Trump a annoncé, mardi 15 avril, que les autorités chinoises se sont rétractées "au sujet d’un énorme accord avec Boeing, disant qu'elles 'ne vont pas prendre possession' d'avions couverts par des engagements fermes". Plus tôt dans la journée, l'agence de presse Bloomberg écrivait que Pékin avait ordonné à ses compagnies aériennes de suspendre toute réception d'avions fabriqués par Boeing et "de stopper tout achat d'équipements et de pièces détachées pour avions auprès d'entreprises américaines".

La semaine dernière, la même source expliquait que la livraison d’un avion Boeing à la compagnie chinoise Juneyao Airlines avait été repoussée, en réponse aux droits de droits allant jusqu’à 145 % imposés à la Chine. En réaction, la Chine a d’ailleurs décidé d’imposer des surtaxes douanières de 125 % sur les marchandises américaines.

La période est donc très complexe pour Boeing, qui se trouvait déjà en difficulté. “Il faut comprendre que la Chine est devenue le premier marché pour l’aviation civile dans le monde, avec le plus gros marché intérieur. En plus, on est dans la croissance la plus importante donc cela veut dire qu’il va y avoir un stock d’avions produits et qui vont rester dans les hangars et sur les parkings pour Boeing. Ce sont des investissements qui valent des millions et des millions d’euros et ils ne recevront pas le chiffre d’affaires qui étaient prévu donc ça va les enfoncer dans le rouge”, indique à RMC, Xavier Tytelman, consultant en aéronautique.

Airbus pourra-t-il se substituer à Boeing ?

Le carnet de commandes de Boeing contenait à fin mars, d'après son site, 130 avions achetés par des clients chinois (compagnies aériennes et sociétés de leasing). Mais certains clients préférant rester non identifiés, ce pourrait être davantage.

"La Chine représente environ 20% du marché des avions commerciaux pour les vingt prochaines années", indiquent les analystes de Bank of America dans une note, estimant que "l'administration américaine ne peut ignorer Boeing". L'avionneur étant "le plus gros exportateur américain (...), nous ne sommes pas surpris par l'initiative de la Chine", relèvent-ils.

Selon eux, le concurrent européen Airbus ne peut se substituer à Boeing ne serait-ce que parce que son carnet de commandes affiche complet jusqu'à la fin de la décennie et le chinois Comac "est très dépendant de fournisseurs américains". Si le blocage des livraisons se confirmait, il affecterait directement la balance commerciale américaine qui a déjà souffert en 2024 du fait de Boeing.

Des problèmes de qualité aux conséquences graves

Sa production a fortement ralenti à cause de moult problèmes de qualité ayant émergé lors d'un incident en vol en janvier 2024, et deux usines ont été paralysées par une grève de plus de cinquante jours à l'automne. Selon les statistiques officielles américaines, les exportations d'avions commerciaux ont atteint 4,23 milliards en août mais seulement 2,56 milliards en septembre, 2,34 milliards en octobre et 1,76 milliard en novembre.

En décembre, lorsque les livraisons ont repris progressivement, le montant est remonté à 3,12 milliards. Sur l'ensemble de l'année, les Etats-Unis ont exporté pour 33,6 milliards de dollars d'avions commerciaux, 62,7 milliards de moteurs et 27,2 miliards de pièces détachées.

Kelly Ortberg, patron de Boeing, a souligné début avril devant le Sénat que le groupe soutenait 1,8 million d'emplois aux Etats-Unis et contribuait à hauteur de 84 milliards de dollars chaque année à l'économie du pays. Le gel des livraisons aurait également des conséquences directes pour le groupe qui perçoit traditionnellement 60% du prix à la livraison.

Une trésorerie en berne

Du fait de l'"annus horribilis" de 2024, il puise lourdement dans une trésorerie déjà atrophiée par la pandémie de Covid-19 et par deux crashes ayant fait 346 morts, qui ont entraîné la suspension des vols des 737 MAX pendant au moins vingt mois. La Chine a été la dernière à les autoriser de nouveau dans son ciel - en janvier 2023, soit deux ans après l'Europe - et à reprendre les livraisons auprès de Boeing - en décembre 2023. Mais Pékin n'est pas sa seule menace.

Michael O'Leary, patron de Ryanair, première compagnie aérienne d'Europe en nombre de passagers, a également envisagé mardi de repousser la réception de 25 Boeing attendus à partir d'août si leur prix augmentait à cause des droits de douane. Ce très gros client a notamment passé commande en mai 2023 pour 300 737 MAX 10, pour un prix catalogue "évalué à plus de 40 milliards de dollars".

Une solution, évoquée par TD Cowen, serait d'attribuer les créneaux des avions refusés à des compagnies désireuses d'avancer leurs livraisons. Ed Bastian, patron de Delta Air Lines, a affirmé la semaine dernière qu'il n'entendait pas payer de droits de douane sur les Airbus qu'il attend cette année.

Alfred Aurenche et AFP