Secteur automobile en crise: "L'UE a oublié le client, il est complètement perdu", estime Luc Chatel

Les annonces de Bruxelles, mercredi, concernant le plan de soutien au secteur automobile "vont dans la bonne direction", s'est félicité ce jeudi Luc Chatel au micro de RMC. L'industrie automobile européenne est "en danger de mort", a averti la veille Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne à la propérité et à la stratégie industrielle.
L'ancien ministre français des Affaires étrangères a dévoilé depuis l'usine Renault, à Douai, une partie du plan de la Commission européenne afin de soutenir le secteur, prévoyant notamment une "clause de revoyure" de l'objectif de ventes 100% électriques prévu en 2035, un assouplissement de la réglementation de calcul des émissions CO2 des constructeurs, l'instauration de quotas de véhicules électriques et l'obligation de composants européens dans les voitures vendues en Europe. D'autres annonces devraient être précisées à la fin du "dialogue stratégique" avec l'industrie, au mois de juin.
"On sent une ouverture, une prise de conscience [...] Il y a un message qui a été entendu, les principes présentés hier vont dans la bonne direction", a concédé Luc Chatel dans Apolline Matin.
"On va se remettre du côté du consommateur, les institutions européennes ont oublié le client. Il est complètement perdu devant ces changements technologiques, le méandre des aides qui change tous les huit jours... Tout ça est insupportable", a-t-il dénoncé.
Les ONG dénoncent un assouplissement du calcul des émissions CO2
Tous les constructeurs doivent respecter une moyenne annuelle d'émissions par voiture vendue en Europe. Cette norme dite CAFE (Corporate Average Fuel Economy) les oblige à vendre progressivement des véhicules de moins en moins polluants, avec en ligne de mire la fin des véhicules thermiques en 2035.
L'assouplissement consistera à prendre en compte les émissions sur trois ans, de 2025 à 2027, au lieu d'une seule année, ce qui revient à accorder un délai supplémentaire pour augmenter les ventes de véhicules électriques. Là encore, une bonne nouvelle, estime Luc Chatel. "La réglementation pénalisait les constructeurs qui allait amener directement à financer nos constructeurs concurrents via des quotas carbone, nous avons échappé à cela, cela nous permet de sortir de cette absurdité."
L'ONG environnementale Transport & Environment a cependant dénoncé "un cadeau sans précédent à l'industrie automobile européenne" qui "retardera l'augmentation de la production de véhicules électriques en Europe et réduira la pression sur l'industrie pour déployer des modèles électriques moins chers en 2025".
Voitures électriques en Europe: "On est en retard"
Pour ce qui est des voitures électriques, le président de la Plateforme automobile veut "écouter le consommateur et regarder comment le marché prend en matière d'électrique. A la fois on est beaucoup mieux qu'il y a 5 ans mais on est aussi en retard", affirme-t-il. "On devait être à 25% de parts de marché cette année, on est autour de 18% en France. Et encore, c'est un bon élève, il y a des pays d'Europe du sud qui sont à 3 ou 5%."
Pour rappel, les voitures électriques, très onéreuses, ont vu leur part de marché reculer dans l'UE pour la première fois en 2024, à 13,6% sur l'année. Afin de "booster la demande", la Commission étudie "des obligations" imposées aux entreprises pour verdir leurs flottes, a fait savoir Stéphane Séjourné. Des quotas de véhicules électriques leur seraient imposés dans un texte présenté d'ici la fin de l'année.
Ces achats seraient aussi facilités par des "incitations fiscales" harmonisées à l'échelle de l'UE qui seront proposées aux Etats membres. Les véhicules d'entreprises sont un levier puissant car ils représentent près de 60% des nouvelles immatriculations en Europe.
L'objectif de 2035 est "maintenu mais avec des flexibilités"
Enfin, l'objectif de vendre uniquement des véhicules neufs à zéro émission de CO2 à partir de 2035 "est maintenu mais avec des flexibilités" afin d'éviter de plomber certains constructeurs en retard en leur infligeant les lourdes amendes prévues par la réglementation, a expliqué mercredi Stéphane Séjourné. "C'est du bon sens. On n'allait pas pénaliser les constructeurs qu'on souhaitait aider".
"On va commencer à discuter dès 2025 pour être prêts dès 2026", a soutenu Luc Chatel.
"La question des e-fuels (carburants synthétiques) et des biocarburants se posera évidemment, et la question de la neutralité technologique sera au cœur des discussions", a aussi fait savoir Stéphane Séjourné. Cette "neutralité", réclamée depuis des années par l'industrie automobile, notamment en Allemagne et en Italie, implique qu'elle puisse utiliser d'autres technologies que l'électrique pour arriver à son objectif de zéro émission de CO2 à l'échappement en 2035. Elle laisse ainsi la porte ouverte à de nouveaux carburants.
"On attend une rapidité de mise en oeuvre et de la simplicité", plaide Luc Chatel, qui met en garde toutefois: "Le diable se cache souvent dans les détails, l'Europe pêche souvent par manque d'agilité alors que les Américains sont rapides et massifs".