RMC
Travail

Filatures et soupçons d'élections truquées: quand la CGT espionne Force ouvrière à Amiens

Drapeaux de la CGT et de FO (illustration)

Drapeaux de la CGT et de FO (illustration) - SEBASTIEN BOZON / AFP

La CGT a fait appel à des détectives privés pour surveiller plusieurs membres du syndicat Force ouvrière chez la société de transport Keolis, à Amiens. Mais l'opération ne s'est pas passée comme prévu.

C'est un scénario digne d'un (mauvais) film policier. Les salariés du réseau de transports publics d'Amiens, géré par l'entreprise Keolis, sont appelés début novembre à élire en ligne leurs représentants du personnel. Au final, score sans appel en faveur de FO, qui remporte 83% des voix. Mais le syndicat défait, la CGT, souhaite faire annuler l'élection. Ses responsables soupçonnent leurs concurrents d'avoir fait pression sur certains salariés pour obtenir leurs suffrages. Pour le prouver, ils décident de faire appel à l'agence de renseignements Montis & Wald, qui mène une opération de surveillance le deuxième jour du scrutin, facturée environ 1.500 euros au syndicat.

Selon le rapport d'investigation, que RMC a consulté, les deux détectives privés se rendent sur le site de Keolis et prennent en filature un premier syndicaliste Force ouvrière le matin, puis un second, l'après-midi. Mais ils sont bloqués par la circulation et perdent sa trace. Dans la soirée, renseignés par un contact interne, ils se rendent devant son domicile, mais ne tardent pas à se faire repérer, comme ils le racontent dans le rapport, illustré de nombreuses photos de surveillance: "Quelques secondes après nous être stationnés, [le syndicaliste FO] sort de son domicile tout en tenant son téléphone et vient à notre rencontre. Celui-ci semble avoir être prévenu de notre arrivée. Nous baissons notre vitre et il nous demande si nous cherchons quelqu’un. Nous lui répondons que nous nous sommes stationnés quelques instants afin de rédiger un SMS. [Il] retourne à son domicile". Les deux détectives quittent alors rapidement les lieux.

"C'est du jamais-vu"

Ce rapport a fini dans les mains des membres de Force ouvrière, qui n'en reviennent pas. "On croyait que c'était une blague, s'exclame le délégué FO Mohamed Kaddouri. Un syndicat qui espionne un autre via des détectives privés, c'est du jamais-vu. Notre avocat est sur le coup. Il y aura des suites judiciaires." Le responsable de la CGT qui a commandité l'enquête assume son initiative, décidée conjointement avec les autres adhérents de son syndicat, et il précise ne pas en avoir référé à sa fédération. "On sait que Force ouvrière a obligé certains salariés à voter uniquement en leur présence, affirme Hassan Boufdil. Faire appel à une agence de renseignement était le seul moyen de prouver cette fraude." Le tribunal d'Amiens examinera le 6 mai la demande de la CGT de faire annuler l'élection. 

Victor Joanin