Elle réplique aux Inrocks avec un édito sur Marie Trintignant pour dénoncer la violence masculine

L'actrice Marie Trintignant dans un édito engagé du magazine Elle - Capture d'écran Instagram/Elle
Dorothée Werner, éditorialiste, grand reporter à Elle, a signé cet édito engagé. Elle réaffirme que la mort de l'actrice sous les poings de l'ancien chanteur de Noir Désir est le symptôme d'une violence systémique, masculine.
"A Elle, c'est un parti pris très ancien. Dès la mort de Marie Trintignant, en août 2003, on a choisi à la rédaction de la mettre en couverture. C'est une mémoire qu'on tient à honorer. On ne veut pas que cette mémoire soit occultée sous les réactions à chaud.
"123 femmes tuées sous les coups de leur conjoint"
L'affaire Marie Trintignant, au lendemain de sa mort, fut traitée dans les pages People. Nous, nous avons tout de suite vu que le sujet, c'était la violence masculine, la dénonciation de ce problème systémique de la société française, et qu'il fallait sortir de l'anecdote, de la peopolisation, du potin mondain.
Marie Trintignant est devenue le symbole, qu'on le veuille ou non, de toutes celles qui ne feront jamais la couverture des magazines. Ces 216.000 femmes qui ont porté plainte pour harcèlement en 2016. Ces 123 femmes tuées sous les coups de leur conjoint l'année dernière aussi. Et cette année il y en aura autant. Toutes ces femmes sont représentées par Marie Trintignant, dont le visage circulait déjà beaucoup sur les réseaux sociaux après cette couverture.
"Le choix éditorial (des Inrocks) est obscène"
Le fait qu'un magazine français (les Inrocks) ait décidé de faire ce choix éditorial, qui est obscène, nous a choqué à la rédaction. Ce n'est pas qu'un homme n'ait pas le droit à une deuxième vie même s'il a commis un meurtre. Ce n'est pas la question ici. C'est que ce journal n'a pas fait ce choix pour des raisons artistiques, il instrumentalise ici Cantat pour des raisons évidemment commerciales. Et il a ajouté à cette couverture un CD, avec une chanson d'Orelsan, qui a quand même écrit "Je veux te marie-trintigner" dans ses paroles. Cela fait beaucoup.
C'est un engagement qui n'est pas une colère contre Bertrand Cantat. C'est bien plus vaste que cela. C'est un engagement auprès de toutes le femmes qui sont victimes de la violence masculine. Ce n'est pas un engagement nouveau. Ce sont des questions dont on parle très régulièrement. Ce n'est pas qu'un engagement de Elle, presse féminine. C'est un engagement qui doit être celui de toute la presse, tous les médias, et toute la société. Y compris de la part des hommes, et l'immense majorité silencieuse des hommes qui ne sont pas violents.
"Il ne s'agit pas de faire un coup médiatique"
(Avoir mis Marie Trintignant dans un édito et non en Une) est plutôt lié à des questions techniques et de délai de fabrication, on a des contraintes d'imprimerie, la couv' était déjà partie. Dans ce numéro, on se fait l'écho d'une actualité assez riche: l'affaire Weinstein, les hashtags... On publie une enquête d'un correspondant à Los Angeles sur l'affaire Weinstein, où on donne la parole à des actrices françaises, parce qu'on s'interroge sur le milieu du cinéma français. Il y a des jeunes actrices, et des actrices plus confirmées comme Mélanie Laurent, qui racontent des choses qu'elles ont vécues.
Il ne s'agit pas de faire un coup médiatique. Il s'agit d'affirmer une conviction profonde. Que toute la rédaction de Elle est, et continue à être, du côté de toutes le femmes qui sont victimes. Nos soeurs, nos compagnes, nos mères. Les violences faites aux femmes sont constitutives de l'histoire des femmes, de l'histoire du féminisme, et de l'histoire de Elle."
Les Inrocks répond à ses détracteurs
Le magazine répond aux critiques dans un long explicatif non-signé paru le 17 octobre. "Aux Inrockuptibles, nous faisons du journalisme (...) Et le journalisme exige, parfois, d’aller questionner les zones d’ombre", justifie l'hebdomadaire, qui poursuit: "La question que soulevait notre article consacré à Bertrand Cantat est: pourquoi et comment faire de la musique quand on a tué une femme ?". De houleux débats ont agité la rédaction, qui souligne dans ce texte que "ce journal s’est toujours battu contre les violences envers les femmes" et présente ses "sincères regrets".