"Expliquez-nous": qui est Marian Kochner, le caïd slovaque, en prison pour avoir fait tuer un journaliste ?
Il y a trente ans, le mur de Berlin tombait. Dans la foulée la révolution de Velour et la chute du communisme en Tchécoslovaquie. Deux régions se séparent à l’amiable et deviennent deux pays, la République Tchèque et la Slovaquie.
Dans la foulée encore, les démocrates qui succèdent aux communistes lancent des vastes programmes de privatisations dont profitent des petits malins ou des voyous. En Slovaquie, le plus malin, va très vite devenir un gros voyou. Il s’appelle Marian Kochner. Et il va se construire une fortune avec des méthodes de cow-boys.
Dans les années 90, il est mouillé dans l'enlèvement du fils du président de la République, mais il s’en sort. Il tente ensuite de prendre le contrôle de la première chaîne de télévision du pays, en débarquant avec des gros bras. Les journalistes doivent lancer des appels à l’aide.
C’était sa façon de faire. Il rentrait au capital d’une société, puis un jour, il débarquait en force pour prendre possession de la boîte. Le tout en versant des pots-de-vin, aux politiques, aux magistrats, aux policiers. Il paye et il menace. Il envoie ses ordres par messages cryptés aux procureurs, aux journalistes aux ministres. On a par exemple retrouvé un message où il écrit à la secrétaire d’état à la justice pour lui demander d'écarter un procureur qui le gêne. Sinon, il menace de tuer ce procureur, la secrétaire d’état qui ne l’avait pas dénoncé vient d'être forcée à démissionner.
Révolte de l'opinion publique
Mais finalement, ce mafieux va tomber pour avoir fait assassiner un jeune journaliste, Jian Kuciak, 24 ans, qui enquêtait sur ses arnaques à la TVA. Il a d’abord essayé de le compromettre et de le discréditer, mais le jeune homme avait une vie parfaitement rangée avec sa fiancée de 27 ans. Alors Kochner contacte une de ses amies, une femme qui entretient des correspondantes coquines avec des hommes politiques et des hommes d’affaires.
Elle-même va embaucher un ancien policier et un ancien militaire. Elle les paie 20.000 euros chacun pour abattre le journaliste. Ce qu’ils vont faire le 21 février 2018, en tuant aussi sa fiancée par excès de zèle. C’était apparemment l’assassinat de trop et l’opinion va se révolter.
Ce double assassinat choque les Slovaques qui descendent dans la rue. Ce sont les plus grandes manifestations de l’histoire du pays. Sous la pression, le Premier ministre démissionne. Le ministre de l'Intérieur aussi, puis le chef de la police. Les assassins eux, sont effrayés par le retentissement de leur acte. Et du coup, il demande une rallonge financière, qui leur est versée.
L’affaire aurait pu en rester là. Le mafieux pensait pouvoir contrôler les enquêteurs et les tenir à distance, mais il est tombé sur un policier de 34 ans qui n’a pas eu peur, qui a même écarté de l'enquête ses collègues corrompus. Le policier a retrouvé les tueurs, qui avaient été assez maladroits. Ces derniers ont balancé un intermédiaire qui a balancé le commanditaire en échange d’une réduction de peine.
Des investigations toujours en cours
Marian Kochner est en prison depuis un an. Il clame son innocence, mais il gardait toutes ses archives compromettantes dans une voiture qui a été retrouvée. Il avait installé une caméra dans son bureau. Et enregistrait tout, on le voit, par exemple traiter un procureur général de “gros connard”.
Aujourd’hui, l’affaire n’est pas terminée parce que les archives retrouvées dans la voiture n’ont pas fini d'être exploitée et de révéler le nom de tous ceux qui sont impliqués. Le Premier ministre qui avait dû démissionner reste le chef de son parti.
En fin de semaine dernière encore, 168 magistrats slovaques ont signé une pétition pour demander la démission de leurs supérieurs corrompus.
Quant à la présidente du pays qui a élue en mars dernier en promettant de nettoyer le pays, elle raconte qu’elle a rencontré Marian Kochner une fois. Il lui a demandé si elle avait peur de lui. Elle a répondu non. Mais aujourd’hui, elle peut le dire, elle était terrifiée. Cette histoire est formidablement racontée par Jean-Baptiste Chastant dans Le Monde d’aujourd’hui. Cela se passe tout près de chez nous. Bratislava est à 700 kilomètres de Strasbourg.