États-Unis: un juge fédéral suspend la pilule abortive

Dix mois après l'arrêt historique de la Cour suprême qui a rendu à chaque Etat américain la liberté d'interdire les avortements sur son sol, c'est une nouvelle victoire pour les opposants à l'interruption volontaire de grossesse aux États-Unis. Le juge fédéral Matthew Kacsmaryk, nommé par l'ex-président Donald Trump et connu pour ses vues ultraconservatrices, a retiré l'autorisation de mise sur le marché d'une pilule abortive agréée depuis plus de 20 ans et utilisée chaque année par un demi-million d'Américaines. Cette décision rendue depuis le Texas est censée s'appliquer à l'ensemble du pays.
Au même moment, un de ses confrères, situé dans l'Etat de Washington, a toutefois jugé que l'autorisation de mise sur le marché de la mifépristone, qui s'utilise en combinaison avec un autre cachet, ne pouvait être retirée dans les 17 Etats démocrates qui l'avaient saisi. Il reviendra donc rapidement à la Cour suprême, là aussi à dominante conservatrice depuis son profond remaniement par l'ex-président républicain Donald Trump, de clarifier la situation.
Un "délais" avant un appel ?
La décision du juge Kacsmaryk ne s'appliquera de toute façon pas avant une semaine, le magistrat ayant choisi de laisser le temps au gouvernement fédéral de faire appel. Ce qui ne devrait pas tarder.
"Le ministère de la Justice est en profond désaccord" avec la décision, "il fera appel (...) et demandera un sursis en attendant", a déclaré le ministre Merrick Garland dans un communiqué.
Dans son jugement de 67 pages, le juge Kacsmaryk valide la plupart des arguments figurant dans la plainte déposée en novembre par une coalition de médecins et d'organisations hostiles à l'avortement contre l'Agence américaine du médicament (FDA). Comme eux, il reprend des études sur les risques imputés à la pilule abortive, bien qu'ils soient jugés négligeables par la majorité de la communauté scientifique. Il accuse également la FDA de ne pas avoir respecté ses procédures afin de répondre à un objectif politique.
"Il y a des preuves indiquant que la FDA a fait face à d'intenses pressions politiques pour renoncer à ses précautions de sécurité afin de promouvoir l'objectif politique d'élargir l'accès à l'avortement", écrit-il notamment.
Une décision "combattue" par Biden
Dans un communiqué diffusé par la Maison Blanche, le président américain Joe Biden a qualifié cette décision de tentative "sans précédent de priver les femmes de libertés fondamentales".
"Mon administration va combattre cette décision", a-t-il martelé.
La vice-président Kamala Harris tient la même ligne: celle du choix des femmes de disposer librement de leur corps. Elle fustige "une décision sans précédent qui menace les droits des femmes dans tout le pays".
"Avec le président, nous allons tout faire pour nous tenir aux côtés des femmes des Etats Unis, et faire tout notre possible pour nous assurer que les femmes puissent choisir ce qui est le mieux pour leur santé et leur santé sexuelle, et que la politique ne décide pas à leur place", ajoute-t-elle
"Du jamais-vu" pour le planning familial
"C'est du jamais-vu et profondément préjudiciable", a commenté la puissante organisation de planning familial Planned Parenthood, qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des IVG dans le pays.
"Nous devrions tous être révoltés qu'un juge puisse unilatéralement rejeter les preuves médicales" pour contredire la FDA, a ajouté sa présidente Alexis McGill Johnson, en soulignant que cette décision pourrait avoir des conséquences "bien au-delà de l'avortement".
Les élus démocrates du Congrès ont pour leur part concentré leurs critiques sur le juge Kacsmaryk: "un juge extrémiste" pour leur ancienne cheffe à la Chambre des représentants Nancy Pelosi, un "juge voyou" pour son successeur Hakeem Jeffries.
Un juge conservateur
Nommé par Donald Trump, Matthew Kacsmaryk fut juriste pour une organisation chrétienne avant de prendre ses fonctions à Amarillo, au Texas, où il est le seul juge fédéral. En déposant plainte dans cette ville, les opposants à l'avortement étaient certains que le dossier lui reviendrait. Vendredi, ils n'ont pas dissimulé leur joie.
Le groupe SBA Prolife America a salué "une victoire pour la santé et la sécurité des femmes et des filles". Sa directrice des affaires politiques Katie Glenn a précisé "analyser de près" le second jugement, "mais nous avons bon espoir que le mépris dangereux pour la vie des femmes affiché depuis deux décennies par la FDA soit bientôt corrigé".
Même si la justice suspendait in fine l'autorisation de la FDA, il faudrait sans doute plusieurs mois avant que sa décision ne s'applique. Selon des experts en droit de la santé, le régulateur du médicament doit respecter une procédure stricte avant de retirer l'autorisation d'un produit. Les femmes et les médecins pourraient aussi se rabattre sur une seconde pilule, le misoprostol, dont l'usage se combine aujourd'hui avec la mifépristone pour une plus grande efficacité et moins de douleurs.