La BCE à la rescousse de Hollande sur la croissance

L'appel lancé mercredi par Mario Draghi, le président de la BCE, pour la rédaction d'un "pacte de croissance" renforce la main de François Hollande, qui a fait de la renégociation du pacte budgétaire européen une priorité. Des nuances importantes existent - -
par Yves Clarisse
PARIS (Reuters) - L'appel lancé mercredi par le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, pour la rédaction d'un "pacte de croissance" renforce la main de François Hollande, qui a fait de la renégociation du pacte budgétaire européen une priorité.
Le candidat socialiste, favori des sondages à onze jours du second tour de l'élection présidentielle, ne s'attendait sans doute pas à voir l'institut de Francfort abonder dans son sens, même si des nuances importantes existent dans leurs thèses.
"Nous avons un pacte budgétaire", a déclaré Mario Draghi devant la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen à Bruxelles. "En ce moment, ce qui domine à mes yeux, c'est d'avoir un pacte de croissance (...) donc nous devons revenir en arrière et en faire un pacte."
Pour le président de la BCE, il ne s'agit pas de renégocier le traité européen de discipline budgétaire signé début mars par 25 des 27 pays de l'Union européenne pour obliger les Etats membres à réduire leurs déficits, avec des sanctions à la clé, mais plutôt de prendre une initiative séparée sur la croissance.
Mais Mario Draghi a visiblement pris la mesure des difficultés rencontrées par plusieurs pays de la zone euro, Italie et Espagne en tête, qui voient leurs projets d'assainissement budgétaire sapés par la récession.
Le président du Conseil italien, Mario Monti, a ainsi affirmé à la mi-avril qu'il donnerait désormais la priorité à la croissance sur une politique d'austérité susceptible de faire empirer le sort de l'Italie.
"Tout, tout, tout ce que nous faisons maintenant doit bénéficier à la croissance", a annoncé le chef du gouvernement italien. Rome prévoit désormais une contraction de 1,2% de l'activité pour 2012, contre 0,4% dans ses précédentes prévisions, en décembre dernier.
"INTERVENTION SURPRENANTE"
Il s'agit d'un tournant dans la politique menée par Mario Monti, qui défendait l'austérité depuis son arrivée à la tête d'un gouvernement de technocrates en novembre 2011.
Dans une note d'analyse publiée quelques minutes à peine après l'intervention de Mario Draghi, la banque Barclays soulignait l'importance de sa prise de position.
"C'était une intervention surprenante et elle illustre l'ampleur des préoccupations de la BCE sur les perspectives de l'économie de la zone euro", peut-on y lire.
Barclays note que le président de la BCE avait été le premier à parler de la nécessité d'un pacte budgétaire européen à la fin de 2011 et que cela avait été rapidement suivi d'effet.
Mario Draghi n'a en outre pas hésité à se faire des ennemis en Allemagne en ouvrant toutes grandes les vannes du crédit aux banques pour éviter une crise de liquidités.
Il reste à savoir quelle pourrait être la forme que prendra cet éventuel "pacte de croissance".
François Hollande maintient qu'il exigera, s'il est élu, une renégociation du pacte budgétaire pour y inclure un volet croissance qui prendrait par exemple la forme d'euro-obligations pour financer des grands projets, par exemple dans l'énergie.
Mais cette revendication se heurte à l'opposition de nombreux pays, dont l'Allemagne, pour lesquels il est impossible de rouvrir un traité signé et déjà ratifié par les parlements de deux pays, la Grèce et le Portugal, et plus bientôt.
DISSENSIONS SUR LE RÔLE DE LA BCE
Des diplomates allemands ont approché François Hollande pour lui demander de renoncer à sa demande, soulignant qu'il serait plus aisé pour Berlin de négocier un pacte de croissance si le préalable de la discipline budgétaire était entériné par Paris.
"Pourquoi créez-vous un tel malentendu alors que sur la substance nous sommes d'accord ?" lui a demandé l'un d'eux.
Le dirigeant socialiste leur a répondu qu'il acceptait tout le volet de réduction des déficits du traité mais qu'il ne pouvait pas renoncer à un projet phare de sa campagne.
"On ne peut pas laisser tomber cette revendication", leur a-t-il dit selon un responsable allemand qu'il l'a rencontré et qui veut croire qu'il s'agit d'une posture de campagne.
François Hollande compte sur le nouveau rapport de forces que créerait son élection dans l'Union européenne, première étape selon lui d'un changement de majorité en Allemagne, où des élections législatives auront lieu en 2013.
Mais d'autres revendications formulées par le candidat risquent de rendre un compromis plus délicat à atteindre.
La favori des sondages se dit ainsi favorable à une baisse des taux de la Banque centrale européenne pour soutenir la croissance et à des prêts directs aux Etats en difficulté, plutôt que de passer par le soutien aux banques.
"Je sais que les Allemands y sont tout à fait hostiles, eh bien ça fait partie de la discussion. Si on pense que ce n'est pas utile de voter et que ce n'est pas utile de renégocier, autant rester chez soi", a-t-il déclaré vendredi dernier.
Même si Jérôme Cahuzac, chargé du budget auprès de François Hollande, a estimé dans un entretien à Reuters que cela pourrait se faire sans remettre en cause les statuts de la Banque centrale européenne (BCE), l'Allemagne et la BCE estiment que cela écornerait l'indépendance de l'institut de Francfort.
"La BCE doit agir dans les limites de son mandat de base et du traité", qui lui assignent la stabilité des prix comme priorité. "Les limites du traité interdisent le financement monétaire (des dettes des Etats)."
avec Robin Emmott à Bruxelles, édité par Gilles Trequesser