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La politesse est-elle ringarde? "Dans la société actuelle, elle est en mauvaise posture"

Frédéric Rouvillois

Frédéric Rouvillois - capture écran BFMTV

A l'occasion de la sortie du Dictionnaire nostalgique de la politesse, Frédéric Rouvillois, professeur de droit à l'Université Paris-Descartes, historien et écrivain, s'est exprimé ce dimanche sur RMC.fr. Il déclare, entre autres, qu'"historiquement, et jusqu'à nos jours, la finalité de la politesse est d'éviter la violence".

"Je pense que ce qui est ringard ne relève pas de la nostalgie et ce qui est nostalgique n'est pas ringard. Ce qui est ringard, c'est quelque chose qui est dépassé, qui ne correspond plus à un besoin, une réalité, que l'on maintient juste comme ça. Alors que je crois très profondément que la politesse a toujours correspondu et correspond, encore plus profondément aujourd'hui, a un besoin, un désir que j'exprime par cette idée de nostalgie. Cela ne veut pas dire qu'il faut forcément revenir en arrière pour tout mais que ce qu'il y avait autrefois peut, dans certains cas, nous apprendre des choses et notamment à mieux vivre ensemble.

"La politesse, c'est offrir quelque chose gratuitement"

Ce que tout le monde sait, ce que tout le monde éprouve, c'est que dans la société actuelle, où tout va de plus en plus vite, dans laquelle l'utilitarisme devient une valeur absolument fondamentale, dans laquelle l'individu a tendance à ne s'occuper que de lui-même, la politesse est en mauvaise posture. Car la politesse c'est le rapport à l'autre, c'est faire attention à l'autre, le respecter. La politesse c'est aussi prendre la personne pour ce qu'elle est. C’est-à-dire ne pas se comporter de la même manière avec une personne âgée qu'avec un jeune de 15 ans par exemple.

D'autre part, la politesse c'est offrir quelque chose gratuitement; ce qui va un petit peu à l'encontre de la tendance dominante de notre civilisation où tout est lié à l'échange, aux gains, à la performance… De ce point de vue, la politesse est effectivement dans une situation mauvaise par rapport aux temps passés où, de fait, on avait plus de temps.

Mais sous Louis XV, Louis XVI ou Napoléon, les gens rencontraient d'autres personnes, les saluaient, mangeaient, allaient aux toilettes, se coupaient les ongles… Bref, les éléments fondamentaux de l'humanité sont toujours là. Il n'y a pas eu de changement à ce niveau-là. Et sur ces relations humaines fondamentales, on est exactement comme eux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les romans d'amour ou d'aventures écrits à ces époques sont aussi passionnants pour les contemporains d'aujourd'hui qu'ils ne l'étaient autrefois.

"Les rites de politesse ne sont pas les mêmes et évoluent"

Si la politesse, elle, va prendre des formes un petit peu différentes, respecter quelqu'un qu'il ait une perruque blanche ou une coiffure de punk, cela revient au même. Dans les deux cas, c'est la même idée qui est là, et qui est que, dans un monde qui est compliqué, il faut que les relations soient aussi fluides, douces, peu rugueuses que possible.

En revanche, les rites de politesse ne sont pas les mêmes et évoluent. C’est-à-dire que pour manifester à quelqu'un son respect, l'attention qu'on lui porte, on va, à certaines époques, lever son chapeau à plumes et faire de grandes révérences. A d'autres époques, on serrera la main, ou faire une bise, ou encore s'embrasser sur la bouche. Les manières de dire les choses, d'exprimer le respect et la politesse changent donc au cours du temps.

"Il y a un lien entre politesse et politique"

Historiquement, et jusqu'à nos jours, la finalité de la politesse est d'éviter la violence. En se montrant poli avec les autres, on veut éviter qu'une situation ne dégénère en violence verbale, voire physique. La politesse c'est donc polir les rapports sociaux pour qu'ils soient aussi pacifiques et agréables que possible pour tout le monde.

Il y a enfin un lien entre la politesse et la politique. Etymologiquement parlant déjà, les deux mots viennent du grec polis qui veut dire cité. La politique est le fait de gouverner cette cité. La politesse est le fait d'être dans cette cité et de faire en sorte que celle-ci fonctionne de manière aussi douce, pacifique et agréable que possible. Il y a donc un rapport très étroit entre les deux. Le problème est que le monde politique ignore très souvent la politesse ou ne l'utilise que de manière incertaine et variable.

Et le fameux 'Casse-toi pauv' con' de Nicolas Sarkozy, au fond, n'est pas tellement surprenant, ni tellement nouveau. La politique a toujours été un lieu et un milieu dans lequel les injures fusent. On a essayé de polir le monde politique mais en réalité c'est un monde de bagarres, de violences. Et, par conséquent, dans ce monde-là, la politesse n'a pas vraiment sa place. C'est d'ailleurs pour cela que dans les vieux codes de la bourgeoisie on explique qu'il faut au maximum essayer de ne pas parler de politique à table. Parce qu'on s'est très bien que cela peut dégénérer".

Propos recueillis par Maxime Ricard