Cérémonie des César: Judith Godrèche, "Anatomie d'une chute", Raphaël Quenard... Ce qu'il faut retenir

La 49e cérémonie des César a accordé vendredi soir une place inédite aux victimes de violences sexuelles, l'actrice Judith Godrèche rêvant d'une "révolution" en pleine vague de libération de la parole dans le cinéma français.
Autre symbole, les César ont décerné pour la deuxième fois de leur histoire le trophée de la meilleure réalisation à une cinéaste, Justine Triet, pour Anatomie d'une chute. Le long-métrage domine la soirée avec six trophées, dont le meilleur film, et prend un nouvel élan avant les Oscars (le 10 mars à Los Angeles), pour lesquels il a cinq nominations.
Justrine Triet dédie son César à "toutes les femmes [...] celles qu'on a blessées"
"Je voudrais dédier ce César à toutes les femmes (...) à celles qui réussissent et celles qui ratent, celles qu'on a blessées et qui se libèrent en parlant, et celles qui n'y arrivent pas", a déclaré la réalisatrice de 45 ans, devenue également en mai la troisième cinéaste de l'histoire à remporter la Palme d'or.

Habituée des rôles complexes, Sandra Hüller s'est imposée comme un des visages des films d'auteur européens depuis la comédie "Toni Erdmann" qui l'a révélée en 2016, jusqu'à "Anatomie d'une chute" qui lui a valu le César de la meilleure actrice à la grand-messe du cinéma français.
L'Académie a remis son tout premier prix, le César de la meilleure actrice dans un second rôle, à Adèle Exarchopoulos, pour "Je verrai toujours vos visages", où elle interprète une victime d'inceste.
La révélation Raphaël Quenard
Une ascension fulgurante: sacré révélation masculine de l'année pour "Chien de la casse", Raphaël Quenard est passé, en quelques mois, du statut de jeune acteur cantonné aux seconds rôles à celui de gloire montante du cinéma français. Star de la 49e cérémonie des César, il était aussi en lice pour la statuette du meilleur acteur pour "Yannick" et pour un court-métrage qu'il a co-dirigé ("L'acteur ou la surprenante vertu de l'incompréhension").

Acteur insaisissable qui s'épanouit loin des tapis rouges et parfois même loin des plateaux de cinéma, le Franco-Belge Arieh Worthalter accède à la consécration avec le César du meilleur acteur pour son rôle dans "Le procès Goldman".
Mais, pour une fois, l'essentiel n'était pas le palmarès ou les hommages, éclipsés par le discours de Judith Godrèche, devenue figure de proue du #MeToo français. C'est ovationnée debout par les représentants d'un 7e art accusé d'avoir pendant des années couvert les violences que l'actrice a fait son entrée sur la scène de l'Olympia, à Paris, pour dénoncer le "niveau d'impunité, de déni et de privilège" du milieu.
"Pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant, cet art qui nous lie, soit utilisé comme une couverture pour un trafic illicite de jeunes filles?", a dénoncé Judith Godrèche.
"Il faut se méfier des petites filles. Elles touchent le fond de la piscine, elles se cognent, elles se blessent mais elles rebondissent", a poursuivi l'actrice, qui a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour des violences sexuelles et physiques pendant son adolescence, que ces derniers nient.
"Les petites filles sont des punks qui reviennent déguisées en hamsters (un clin d'œil à sa série "Icon of French Cinema" sur Arte, NLDR) et pour rêver à une possible révolution", a-t-elle ajouté. Applaudissements nourris à nouveau.
Le contraste est saisissant avec la cataclysmique édition 2020 des César. Roman Polanski, accusé de viol, y recevait le prix du meilleur réalisateur pour "J'accuse", provoquant le départ de l'actrice Adèle Haenel. Cette dernière, qui a depuis quitté le cinéma, a reposté, sans commentaire, une photo de cette soirée sur ses réseaux sociaux vendredi.
La question des violences sexuelles a surgi dès les propos liminaires de la présidente de la cérémonie, Valérie Lemercier: "Je ne quitterai pas ce plateau sans louer celles et ceux qui font bouger les us et coutumes d'un très vieux monde où les corps des uns étaient implicitement à la disposition des corps des autres".
Avant la cérémonie, une centaine de personnes avaient manifesté devant l'Olympia, à l'appel de la CGT, pour soutenir la parole des victimes. "Tous ensemble, on peut vraiment aider à ce que les choses bougent, un monde vraiment meilleur peut s'ouvrir", avait alors dit l'actrice Anna Mouglalis, qui a accusé les réalisateurs Philippe Garrel et Jacques Doillon de l'avoir agressée sexuellement.
Egalement avant l'ouverture des festivités, la ministre de la Culture Rachida Dati a elle aussi déploré un "aveuglement collectif" qui "a duré des années" dans le milieu, dans un entretien à la revue Le Film français.
"La liberté de création est totale mais ici on ne parle pas d'art, on parle de pédocriminalité" concernant Judith Godrèche, a-t-elle poursuivi.
Au-delà de ces discours, le sujet n'a pas fini de hanter le cinéma français, dont plusieurs représentants sont visés par des procédures judiciaires, comme Gérard Depardieu, mis en examen pour viols et agressions sexuelles et dont le Président Emmanuel Macron disait fin 2023 qu'il rendait "fière la France".
Le président du Centre national de la cinématographie (CNC), Dominique Boutonnat, est aussi mis en cause dans une affaire d'agression sexuelle présumée sur son filleul de 21 ans.
De nouveaux appels à dénoncer des violences ont été lancés, notamment par l'acteur Aurélien Wiik pour libérer la parole des garçons qui auraient été victimes, et au-delà du cinéma, Judith Godrèche a dit avoir reçu plus de 2.000 témoignages en quatre jours sur l'adresse mail qu'elle a ouvert à cette fin.
Le palmarès :
Meilleur film: "Anatomie d'une chute" de Justine Triet
Meilleure réalisation: Justine Triet pour "Anatomie d'une chute"
Meilleur acteur: Arieh Worthalter pour "Le procès Goldman"
Meilleure actrice: Sandra Hüller pour "Anatomie d'une chute"
Meilleur scénario original: Justine Triet et Arthur Harari pour "Anatomie d'une chute"
Meilleur montage: Laurent Sénéchal pour "Anatomie d'une chute"
Meilleur second rôle masculin: Swann Arlaud dans "Anatomie d'une chute"
Meilleur second rôle féminin: Adèle Exarchopoulos dans "Je verrai toujours vos visages"
Révélation masculine: Raphaël Quenard dans "Chien de la casse"
Révélation féminine: Ella Rumpf dans "Le théorème de Marguerite"
Meilleur premier film: "Chien de la casse" de Jean-Baptiste Durand