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Jean-François Stévenin se souvient de l'acteur Johnny Hallyday: "J'ai été conquis tout de suite"

Jean-François Stévenin

Jean-François Stévenin - Lionel BONAVENTURE / AFP

Si le monument du rock a souvent occulté l'acteur, Johnny Hallyday a tourné avec Godard et Costa-Gavras. Jean-François Stévenin l'a accompagné dans plusieurs de ses rôles. Pour RMC.fr, l'acteur et réalisateur se souvient de son "pote" et d'anecdotes de tournage.

Comment avez-vous réagi à la mort de Johnny Hallyday?

C'était attendu. Il est parti, je suis soulagé pour lui. Je l'ai revu très fatigué. Je savais que c'était cuit. C'est une délivrance. Malheureusement, il a vécu un enfer d'un an.

Je l'avais rencontré en 1969 au Palais des Sports. J'étais assistant sur la production au théâtre Saint-Martin. Johnny était venu. Pour moi, il n'existait pas, la chanson Souvenirs, je n'en avais rien à faire. Mon truc, c'était le rock pur et dur, Eddie Cochran, Chuck Berry, tout ça.

Donc au départ, Johnny, ce n'est pas du tout votre rayon.

Pas du tout ma came. Alors il nous invite au Palais des Sports. Il y a 3.000 personnes. Il fait son concert. J'étais complètement scotché. D'un seul coup, après la scène, il dit bonjour à tout le monde, avec un peignoir sur le dos, très timide. J'étais stupéfait par le contraste entre la bête de scène et comment il était après.

J'y suis retourné 21 fois. Je prenais la bagnole en vitesse, je fonçais au Palais des Sports. J'ai squatté ses concerts pendant 25 ans, sans l'autorisation de personne. J'arrivais à rentrer. J'ai échappé à Camus (Jean-Claude Camus, manager de Johnny Hallyday, NDLR) et ses cerbères. Lors du show de 1985, quand il devait sortir d'un poing géant sur scène, c'est Claire Denis, qui était chargée d'ouvrir les cinq doigts de cette main, qui m'a fait entrer dans le coffre de sa bagnole. Puis un jour, j'ai connu Johnny. Lui prétend que je suis son pote. Pour moi, c'est toujours Johnny Hallyday. Je suis toujours le fan de base. Fan très privilégié, mais fan de base.

D'année en année, vous l'avez recroisé, mais sur des tournages.

Ca c'est formidable. Je n'étais plus devant Johnny Hallyday, l'idole dans la vie. J'étais devant l'acteur. On avait un rapport d'acteurs, et j'étais complètement libre. C'est les seuls moments où j'ai pu discuter avec lui. Il est très attentif sur les tournages. Il veut bien faire. En 1991, on tournait La Gamine au Portugal. Entre chaque plan, on allait manger un hamburger à la gare - il en mangeait 10 par jour. Il disait "C'est les meilleurs, c'est les meilleurs." Le soir, on n'arrivait jamais à se coucher. Le matin, on ramait très fort. Le soir, on revenait sur la journée de tournage, on était à se flageller sur tout ce qu'on aurait dû faire, et qu'on n'avait pas fait. "A la deuxième prise, j'aurais dû changer un truc, j'ai été con." On se refaisait les scènes le soir.

Il y a eu Love me, puis, au pinacle, L'Homme du train aussi…

Love me, c'était un cadeau. On était ensemble pendant six semaines. Et pareil: inquiets pour tout. Il me forçait à aller lever de la fonte le matin -de la musculation. Exemple: la veille du départ de tournage, on est à table avec Laetitia Masson. Il a un herpès qui commence à grandir. Il devient méconnaissable, on aurait dit un lézard. Violet. Le lendemain, on pouvait à peine tourner.

Il m'a dit: "Quand je suis au Stade de France sur un gros truc, en général j'ai mal à l'oeil, ou j'ai un léger herpès, qui disparaît tout de suite." Léger, à cause du trac. Laetitia l'a mis de dos, il n'avait qu'une phrase à dire: "Moi, je suis le roi de la tartine."

J'ai vu comment il apprenait les textes, consciencieux, avec la peur de mal faire, comme moi. Des acteurs qui ont envie de prendre leur pied, mais en même temps, que le film soit réussi.

Qu'en pensiez-vous, de ses performances d'acteur?

J'ai été conquis tout de suite. Il avait une présence. On a même failli se fâcher un jour pour ça. Sur un tournage, je lui ai dit:

"Tu devrais arrêter Johnny Hallyday -parce que les fans ne voulaient pas le voir au cinéma, ses films faisaient seulement 200.000 entrées, ils voulaient le voir sur scène. Tu devrais aller en Australie, te faire appeler Jean-Philippe Smet, tu vas te retrouver avec Chuck Norris -il adorait les trucs américains-, et tu fais une carrière!"

Ca avait bardé. Il a dit à Laetitia: "Il y a le petit ours -c'est comme ça qu'il m'appelait- qui m'a dit que je ne ferais jamais une carrière au cinéma". Ca a failli mal tourner...

Malgré le peu d'intérêt de ses fans pour ses rôles, est-ce qu'à vos yeux il a réussi à s'imposer à la télévision?

Il s'est imposé quand même, avec Costa-Gavras, Godard, et mon modeste film, Mischka. Je ramais à l'époque sur le scénario. Je voulais lui confier une toute petite scène. Trois ans passent, un jour le film est prêt. Il me relance quand il voit que c'est annoncé, il me demande: "Alors, il n'y a rien pour moi?" Il y avait une scène parfaitement écrite, juste pour lui, le point d'orgue du film.

Pourquoi lui, spécialement, dans cette scène-là?

C'est l'ange qui descend du ciel. Il a une rencontre improbable avec un benêt de province, qui vit avec sa vieille maman. Il débarque en hélicoptère et le réconforte. Scène totalement écrite. Le tournage approche: il était à l'Olympia, il vient, sans plan de vol, sans assurance, en hélico. Comme des voyous, à l'arrache, avec atterrissage au milieu d'un champ. Le pilote nous trouve, il tourne avec nous. C'était le 23 août 2000. Un grand jour entre nous.

Il a incarné une tonne de rôles - un cow-boy, un gangster, lui-même... Vous trouviez ses apparitions réussies?

Oui. Il a été très content. Il a eu le prix Jean-Gabin avec L'Homme du train. Quand on est ensemble, même en tournée, il ne s'endort pas avant d'avoir vu un film. Cinéphile à fond. Il recevait des films direct d'Amérique. En tournée, il regardait de 4 heures à 8 heures du matin, et là il somnole jusqu'à 1 heure, il ronchonne, il dort pas, et puis le soir il repart faire le concert.

C'était un amour. Il voulait absolument qu'on tourne ensemble. Il m'a dit: "Je voudrais faire un film comme avec Mishka, mais avec moi. Un truc à l'arrache, on s'en fout du pognon, on fait ce qu'on veut. Et moi j'avais pas le sujet qu'il fallait. Il me disait: "Moi j'ai chanté 3.000 chansons, il y a quelques tubes. Toi, tu as fait 3 films cultes, et tu branles rien." Au moment où il le dit, je vois qu'il veut me foutre un coup de poing dans la gueule. Mais il finit par me prendre dans les bras, m'embrasse, et dit: "Je t'aime".

Propos recueillis par Paul Conge