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Le rap français, c'était mieux avant? "Non, il s'est seulement adapté au marché, à la société"

Le groupe IAM a annoncé la sortie d'un nouvel album pour début mars

Le groupe IAM a annoncé la sortie d'un nouvel album pour début mars - PIERRE ANDRIEU / AFP

Ce lundi, les rappeurs marseillais d'IAM ont annoncé la sortie (le 3 mars) d'un nouvel album, Révolution. Et si le rap français, c'était mieux avant? Une question à laquelle répond Michel Bampély, sociologue de l'art et de la culture à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste des cultures urbaines, des pratiques artistiques et de l'industrie musicale.

Michel Bampély, sociologue de l'art et de la culture à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS):

"Pour moi, le rap français n'était pas mieux avant. Il faut accepter l'évolution du rap et le prendre tel qu'il est, à savoir un produit culturel. C’est-à-dire que désormais les rappeurs, comme n'importe quels autres artistes, doivent vendre des disques. Il ne faut pas oublier que le rap, depuis les années 80, est produit par des multinationales. Pourtant, il y a un aspect 'culture hip-hop' avec des valeurs à véhiculer. Mais, tout cela est faux. Il faut juste prendre le rap tel qu'il est vraiment.

Aujourd'hui, le rap s'est seulement adapté au marché. Il doit donc continuer à vendre beaucoup de disques et conquérir un public de plus en plus large. Le rap s'est simplement adapté au monde tel qu'il est, à la société de consommation telle qu'elle est. Et tant pis s'il y a une perte de fond, d'écriture ou de valeurs tant qu'il continue à vendre. L’engouement que le groupe IAM suscite à l’annonce de leur nouvel album Révolution prouve que leur rap conscient a su résister aux tendances et au temps qui passe. Peu de groupes de leur génération sont capables de susciter une telle adhésion après trente ans de carrière dans le rap. La preuve L’école du micro d’argent reste l’album de rap français le plus vendu de l’histoire avec 1,6 million d'exemplaires.

"Ce qu’IAM fait aujourd’hui, Booba est capable de le réitérer dans quelques années"

Mais ce qui fut vrai pour le rock hier l’est pour le rap aujourd’hui. Certains artistes vieillissent bien en emportant avec eux leur public, qui fait découvrir à ses enfants la musique de leur jeunesse. Mais ce que IAM fait aujourd’hui, Booba est capable de le réitérer dans quelques années, même s’il évolue dans un registre très différent. Ces artistes durent car ils ont réussi à travers leur musique à incarner une idée, un idéal, un combat, en produisant un processus d’identification avec un public, une époque: celle qui pense que le rap était mieux avant.

DJ Dee Nasty a publié son premier album Paname City Rappin en 1984 avant de se consacrer définitivement aux platines. Les rappeurs Destroy Man et Johnny Go étaient actifs dès les années 1983/84 et peuvent à ce titre être considérés comme les véritables pères fondateurs du Mcing, soit du rap français. NTM, IAM, Mc Solaar ou Ministère AMER ont accompagné l’explosion commerciale du rap en France et sa diffusion par les médias de masse en partant des émissions radios spécialisées, de Rapline du journaliste Olivier Cachin (1990) à la playlist de Skyrock (1996).

"Il faut accepter l'évolution du rap"

On considère les années 1990/2000 comme l’âge d’or du rap car elles correspondent aux années fastes de l’industrie musicale, c’est-à-dire juste avant la crise du disque causée par le téléchargement illégal. De plus, le rap conscient proche des quartiers prioritaires et de leurs aspirations sociales dominait la discipline. Big Flo & Oli, PNL ou Nekfeu évoluent, quant à eux, dans le rap game, un champ artistique extrêmement concurrentiel où l’enjeu principal reste la course quasi-obsessionnelle à la rentabilité. Il faut donc accepter l'évolution du rap, sa mondialisation et la perte des valeurs de la culture hip hop face au marché qui dicte ses lois.

Car ce n’est pas le rap français qui a changé mais la société de consommation. Les techniques de l’information et de la communication, internet et les réseaux sociaux ont modifié le mode de fonctionnement des individus à l’échelle mondiale. Le rap n’a fait que s’adapter à cette évolution tout d’abord en privilégiant la culture de l’image à celle de l’écrit. On ne consomme plus la musique de la même manière et la numérisation des contenus a forcé toutes les industries culturelles à s’adapter ou périr.

"Le rap de divertissement a tiré son épingle du jeu"

Le rap s’est mondialisé et se diffuse librement à l’échelle planétaire en partant sans cesse à la conquête de nouveaux marchés émergeants. C’est donc le rap de divertissement qui a tiré son épingle du jeu en se pliant aux formats radios ou en répondant à la demande massive des internautes. Le rap n’a pas connu une dérive mercantile, les autres courants comme le rap conscient, poétique ou politique existent toujours mais ils sont devenus minoritaires voire underground. Aujourd'hui, ce sont les rappeurs festifs, les rappeurs de divertissement qui dominent. C'est pourquoi Black M ou Sexion d'Assaut cartonnent autant. Mais la tendance peut encore changer.

Si aujourd'hui, la rap conscient est moins dominant c'est parce que la jeunesse est moins politisée. Les jeunes désertent les partis politiques, les syndicats et les mouvements sociaux censés défendre leurs intérêts. Nuit debout s’est essoufflé au bout de quelques mois et n’a pas su mobiliser la jeunesse issue des banlieues. Il faut comprendre que le rap est à l’image de la société et décrit toujours les grandeurs et misères de son temps".

Propos recueillis par Maxime Ricard