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Les présidents et la table: "Leur personnalité se retrouve dans leur façon de manger"

Table de l'Élysée dressée à l'occasion d'un dîner officiel.

Table de l'Élysée dressée à l'occasion d'un dîner officiel. - S. de Sakutin - AFP

Dans son documentaire Les présidents et la table, diffusé ce lundi sur Planète+, le journaliste Christian Roudaut montre que la personnalité de nos présidents se retrouve dans le rapport qu'ils entretiennent avec la gastronomie. Pour RMC.fr, il nous raconte, anecdote à l'appui, quel est l'ingrédient qui caractérise le plus les sept derniers locataires de l'Élysée, de Charles de Gaulle à François Hollande.

Christian Roudaut est journaliste, auteur réalisateur (avec Hélène Jouan) du documentaire Les présidents et la table, diffusé ce lundi 12 décembre sur Planète+.

"La personnalité des présidents se retrouve, sans l'ombre d'un doute, dans leur façon de manger et d'appréhender la gastronomie. La fameuse phrase du gastronome Brillat-Savarin, 'dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es', se vérifie avec nos présidents. Dans notre documentaire, nous avons choisi un ingrédient pour définir chacun de nos présidents de la Ve République.

>> Charles de Gaulle

L'ingrédient qui le définit le mieux, c'est les petits pois. Ça montre son côté spartiate, militaire. Avec lui, on ne passe pas trop de temps à table.

>> Georges Pompidou

C'est le fromage qui définit le mieux sa relation avec la table. Il était très fier de ses origines auvergnates et il adorait le Cantal, qu'il mettait en avant à la table de l'Élysée. Pompidou, c'est l'épicurien: il est à la fois très lettré, mais aussi rustique et auvergnat, très fidèle à ce que l'on appelait à l'époque la cuisine bourgeoise, mijotée. Pompidou incarne finalement ce côté France bourgeoise des années 70, bien dans sa peau.

>> Valéry Giscard d'Estaing

C'est la vraie coupure et il a voulu imposer la modernité, ce qui s'est retrouvé dans la cuisine élyséenne, C'est l'époque du grand big-bang culinaire, avec la nouvelle cuisine de Bocuse, Guérard… L'ingrédient qui le définit le mieux, c'est la truffe. Il a voulu se faire passer pour quelqu'un de simple en disant qu'il aimait les œufs brouillés, mais on a appris plus tard qu'il les mangeait avec... de la truffe, ce qui n'était pas vraiment raccord avec la France profonde.

"Mitterrand ? Même son assiette nous embrouille"

>> François Mitterrand

Mitterrand, c'est l'ambiguïté. Il est fidèle à son image, même son assiette nous embrouille. Il y a le côté 'gauche caviar', très au-dessus du peuple bien qu'étant socialiste. Mais il y a d'autres témoignages qui vont dans un sens opposé, montrant son goût de la France profonde. Il a recruté à l'Élysée une cuisinière périgourdine pour lui faire "la cuisine de sa grand-mère".

On sait qu'il adorait les huitres, son plat fétiche. Mais l'ingrédient qui le définit le mieux, selon nous, c'est le caviar, justement pour ce côté 'gauche-caviar' qui a collé à l'image des socialistes au pouvoir, à tort ou à raison.

>> Jacques Chirac

C'est l'ogre sympathique, mais avec plus de raffinement qu'il a bien voulu le dire, avec un goût assez prononcé pour les subtilités de la cuisine asiatique. L'ingrédient qui le caractérise, bien sûr, c'est la pomme. On aurait pu dire la tête de veau, mais on lui en a tant servi à l'Élysée qu'il a fini par ne plus en vouloir. La pomme, c'est le symbole qu'il a utilisé pour sa campagne présidentielle de 1995, alors que les chefs de l'Élysée nous ont dit qu'il ne l'avait jamais vu en croquer une.

"Sarkozy est obsédé par sa ligne"

>> Nicolas Sarkozy

C'est speedy Sarko. Tout va très vite. Ce sont les repas les plus courts de la Ve république. Un dîner d'État peut être expédié en 50 minutes. Il n'y a pas de temps à perdre. Il veut faire passer le message que ce n'est pas un président dinatoire, pas un roi fainéant, et qu'il n'a pas de temps à perdre à table.

Pour les repas privés, il est obsédé par sa ligne. Il a une approche assez hygiéniste de la nourriture: il avoue ne pas aimer le vin, ce qui est une forme de transgression assez unique en France. Sous son quinquennat, on supprime également le fromage (sauf quand il reçoit Angela Merkel, qui aime beaucoup le fromage).

L'ingrédient qui le caractérise le mieux, c'est le chocolat. C'est le côté compulsif: il peut être très boulimique en ne pouvant se retenir de manger du chocolat, des chouquettes et de la glace au café, mais il a mauvaise conscience. On aurait pu dire aussi le fromage blanc. Lors de certains dîners, il se retrouve le seul à manger du fromage blanc maigre, au grand étonnement de ses convives.

>> François Hollande

C'est une présidence qui se veut normale, avec une cuisine un peu ennuyeuse: il se dit qu'elle a un peu perdu de son niveau. Il a une obsession: ne pas être taxé de gauche caviar et faire les choses les plus économes possibles. L'ingrédient qui le caractérise, ce sont les frites. Parce que Sarkozy avait eu cette saillie contre lui: "Regardez il n'a pas de tenue il mange des frites". Et Hollande avait répondu: "Eh bien oui, je mange des frites comme tous les Français".

Et les Français, qu'en pensent-ils?

Pour Christian Roudaut, "les Français sont très schizophrènes et contradictoires. On est dans une monarchie républicaine et ils estiment qu'il faut que la France tienne son rang, surtout à table. En même temps, ils veulent un chef de l'État qui soit proche d'eux, qui mange comme eux. Je pense que les gens font le distinguo entre le président en exercice qui accueille d'autres chefs d'États étrangers et qui doit, à table, montrer la grandeur de la France, et qui en même temps, doit faire preuve d'une certaine ascèse en privé. Celui qui a le mieux réussi cette synthèse, c'est Chirac : il y avait de la tenue dans les repas officiels (merci Bernadette !), et en même temps il va manger du saucisson sur un marché en Corrèze. C'est ça que veulent les Français".

Propos recueillis par Philippe Gril