Les Très Riches Heures du duc de Berry illuminent l’histoire

Le manuscrit original des Très Riches Heures du duc de Berry dans son intégralité. - P.Légasse
Les Très Riches Heures du duc Jean de Berry, exposition du manuscrit des frères Limbourg, musée Condé, salle du Jeu de paume du château de Chantilly, rue du Connétable, 60500 Chantilly. Tel.: 03 44 27 31 80. Ouvert tous les jours sauf le mardi. Dernières nocturnes les vendredi 26 septembre, vendredi 3, samedi 4 et dimanche 5 octobre.
Haut lieu du patrimoine français et prestigieux écrin des collections de celui qui fut son propriétaire de 1830 à 1897, le duc d’Aumale, fils du roi Louis-Philippe Ier, le château de Chantilly met à l’honneur l’un de ses plus grands trésors : les Très Riches Heures du duc Jean de Berry. Enluminé par les frères Pol, Herman et Johan Limbourg, ce manuscrit est l’une des oeuvres les plus prestigieuses de l’art médiéval encore accessible. Au terme d’une restauration ayant fait appel aux techniques et aux compétences les plus pointues, débutée en 2023, la "Joconde" des manuscrits est, occasion exceptionnelle, présentée au public jusqu’au 5 octobre prochain dans les salles du musée Condé.
L’exposition prend place dans les Grands Appartements du château, réhabilités au XIXe siècle par le duc d’Aumale, au cœur de l’ancienne demeure des princes de Condé. Les visiteurs cheminent à travers la Galerie des Cerfs, la Galerie de Psyché et la Salle de Clouet avant d’accéder aux salles plus intimes du musée conçu par l’architecte Honoré Daumet autour de la bibliothèque du duc d’Aumale. C’est dans la Salle du Livre d’Heures que l’on découvre, sous une vitrine spécialement climatisée, les feuillets originaux du manuscrit. Les miniatures sont mises en lumière dans un dialogue subtil avec l’architecture néo-Renaissance du château de Chantilly, dont les voûtes, boiseries et décors peints rappellent l’atmosphère savante d’un cabinet d’humaniste.

Commandées en 1411 par Jean, duc de Berry (1340-1416), troisième fils du roi Jean II le Bon et frère de Charles V, prince fastueux et mécène féru d’art, les Très Riches Heures, joyau de l’enluminure médiévale, fascinent par l’éclat de leurs couleurs, la richesse et la précision de leurs détails et par les scènes de vie et les monuments qu’ils consacrent, résidences royales et princières où séjourna le duc de Berry, dont certaines sont encore à leur place. Le cahier exposé correspond aux pages d’un calendrier, assorti de données astronomiques d’une rare précision pour l’époque, qui voyage dans la France du XVe siècle. Chaque folio est une fenêtre ouverte sur un paysage, avec travaux des champs inhérents au mois concerné, que l’œil moderne redécouvre grâce au travail minutieux des frères de Limbourg. S’il ne s’agit pas à proprement parler d’une machine à remonter le temps la configuration et l’esprit de l’ouvrage prennent la forme d’un témoignage laissé par ce prince de France à la postérité.
Le document commence avec le mois de janvier, au palais de l’île de la Cité, à Paris, dans la grande salle où Jean de Berry donne un banquet. Hormis le faste de la table et l’abondance des victuailles, on distingue les vitraux et les voûtes qui faisaient de ce palais royal le centre du pouvoir capétien. Février décrit la rudesse de la vie des paysans en hiver. En opposition radicale avec la magnificence de la scène précédente, elle présente un enclos ceint, une ferme comprenant une bergerie, des ruches et un pigeonnier. Mars met en scène le château de Lusignan, en Poitou, propriété du duc, au pied duquel les frères Limbourg déploient différentes scènes de travaux des champs à la fin de l’hiver, avec au premier plan un paysan labourant à l'aide d'une charrue à versoir tirée par deux bœufs. En avril, dans un décor de printemps, des fiançailles se célèbrent devant les tours massives du château de Dourdan, forteresse aux puissants remparts circulaires, typiques de l’architecture militaire du XIIIe siècle. En mai, une procession à cheval traverse les prairies, tandis qu’à l’arrière-plan se profilent les tours, les clochers et les toits de Paris.
Un manuscrit dont la pérennité relève du miracle
En juin les moissons se déploient en bordure de Seine, à l’emplacement actuel de l’Académie française, sur la rive gauche, d’où l’on aperçoit le palais de la Cité, siège de l’administration royale, avec les tours d’Argent, Bonbec et César, et la Sainte Chapelle, , alors forteresse médiévale dominée par son donjon centrale disparu à la Renaissance. En juillet les faucheurs travaillent devant les toits élancés et les cheminées du château de Poitiers, ancienne résidence des ducs d’Aquitaine acquise par le duc de Berry. Les formes massives du palais contrastent avec la simplicité des scènes paysannes. En août la chasse au vol se déroule dans les prairies dominées par le château d’Etampes et la tour Guinette, imposant donjon carré qui domine toujours la ville. En Septembre les vendanges s’animent au pied du château de Saumur ici magistral. Ses tours octogonales coiffées de toits en poivrière traduisent l’évolution vers un château résidentiel ouvert sur le paysage de la Loire. En octobre la scène des labours se situe à nouveau à Paris devant le Louvre, dont on distingue les tours flanquées de créneaux et les fossés pleins d’eau. Le château apparaît comme une forteresse protectrice alors que les paysans s’adonnent aux semis de la prochaine récolte. On finit l’année par les chasses de décembre que conduisent les veneurs et les chiens dans la forêt, dominée par le donjon carré du château de Vincennes. Haute de 52 m, cette tour reste encore aujourd’hui l’une des plus imposantes d’Europe. Séquence la plus célèbre du glorieux document, ce calendrier n’en est pas moins qu’une partie des Très Riches Heures dont la globalité thématique et artistique constitue un monument incomparable.
Ceci n’est qu’un bref aperçu de ce manuscrit dont la pérennité -en si bon état- relève tout de même du miracle. Considérons que cet instant culturel est l’un des plus marquants de l’année 2025 et réjouissons nous ùque la direction du château de Chantilly et du musée Condé, sous la férule de Mathieu Deldique et Marie-Pierre Dion, se soit donné les moyens de nous permettre d’approcher et de contempler un instant de notre trésor national.
L’exposition fermera ses portes le dimanche 5 octobre et nous ne pouvons qu’inciter vivement ceux qui n’ont pas pensé, ou pas trouver le temps d’ aller à Chantilly, de combler cette lacune. L’époque est difficile et les nouvelles pas toujours réjouissantes, raison de plus pour apprécier les gloires de la France pour leur beauté et le bonheur qu’elles inspirent.