Cocaïne disparue, cheffe mise en examen: ce qu'il faut savoir de l'affaire de l'office anti-stups à Marseille

Une histoire tentaculaire qui mêle trafic de drogue, soupçons de corruption et qui éclabousse la lutte anti-stup de Marseille, jusqu’à sa hiérarchie. Au sein de l'Office anti-stupéfiants (Ofast) de Marseille, sa cheffe et son adjoint ont été mis en examen mercredi et jeudi à Paris dans le cadre d'une enquête sur une livraison surveillée en 2023 de cocaïne suspectée d'avoir connu de graves dérives.
Pour comprendre, il faut remonter à février 2023 et aller jusqu’en Colombie! Les policiers de la lutte anti-stup sont informés d’une livraison de cargaison de cocaïne, près de 400 kilos au total, depuis Carthagène jusqu’à Marseille. Ils décident donc de mener ce qu’on appelle une "livraison surveillée".
Une technique policière très encadrée, qui consiste à laisser entrer la drogue sur le territoire pour suivre, discrètement, la chaîne de livraison et tenter d’hameçonner les trafiquants impliqués pour faire tomber les têtes de réseaux.
L'opération baptisée "Trident" doit permettre de traquer l’un des plus gros narcotrafiquants de Marseille, surnommé "Mimo de la Castellane". Cest là que tout commence véritablement : personne ne vient récupérer la poudre blanche. Elle reste stockée à l’arrière d’un utilitaire, trimbalé de parking en parking.
399 kilos de cocaïne volatilisés
Pendant plusieurs semaines, les policiers tentent tant bien que mal d’attirer d’autres petits trafiquants. Des petits dealers viennent se servir. Et quand la police décide finalement de perquisitionner l’utilitaire sur les 400 kilos de drogue, il n’y a plus rien. Seul 1 kilo sera saisi. Pas un trafiquant arrêté. Comme si l’opération policière avait été éventée. C’est l’équivalent de 21 millions d’euros de drogue qui se sont volatilisés.
Des soupçons de corruption pèsent alors au sein du groupe d’enquêteurs de l’Ofast. En avril, deux d’entre eux ont été mis en examen puis placés en détention provisoire, notamment pour trafic de stupéfiants en bande organisée et blanchiment. En juin, un autre est mis en examen à son tour.
Des ordres ont-ils été émis et en provenance d'où?
Très vite on s’interroge sur le rôle de la hiérarchie. Étaient-ils au courant ? Les enquêteurs ont-ils agi avec l’aval de leur hiérarchie ? Plusieurs d’entre eux ont affirmé en garde à vue que c’était le cas. Ce que contestent le duo de chefs de l’unité anti-stup marseillaise. D’après l’avocate de la patronne de l’Ofast, sa garde à vue a justement "permis de lever les doutes sur l'absence de connaissance hiérarchique" sur le déroulement du dossier.
Cette enquête révèle des pratiques douteuses au sein de l’Ofast, après les révélations d’un personnage essentiel. Un certain Hervé, surnommé "Passe-partout" par les enquêteurs de l’Ofast. C’est un homme à tout faire, un serrurier de profession, policier réserviste. Les enquêteurs font appel à lui pour mener leurs opérations discrètes : ouvrir des portes, changer des serrures, mais aussi installer des caméras.
"Passe-partout" s’épanche auprès de la hiérarchie sur certaines pratiques de policiers. Il racontera notamment avoir vu un enquêteur de l’opération Trident manipuler un sac rempli de billets à la provenance douteuse. Il fait part également de pratiques illégales, notamment des poses de caméras de surveillance sans la moindre autorisation judiciaire.
Pratiques douteuses
D’après Le Monde, un des chefs de l’Ofast mis en examen a admis l’an dernier que certaines caméras avaient été déployées sans l’aval de la justice, dans le cadre de l’opération "Trident". Mais l’enquête révèle qu’en l’espace d’un an, "Passe-partout" a posé, pour plusieurs unités de l’Ofast, 51 caméras, 7 balises, 7 micros.
Seulement 16 opérations ont fait l’objet d’une autorisation. Voilà pourquoi les patrons de l’Ofast sont notamment mis en examen pour "complicité d’atteinte à l’intimité par captation d’images et de paroles".
Ces derniers sont placés sous contrôle judiciaire et mis en examen pour "complicité de faux en écriture publique par une personne dépositaire de l'autorité publique" et "violation du secret d'une enquête portant sur la criminalité organisée". Ils ont l’interdiction d’exercer des missions de police judiciaire et de se rendre dans tous les locaux de police des Bouches-du-Rhône.
L’avocate de la patronne de l’Ofast insiste: "Après deux jours de garde à vue", sa cliente "n’est mise en examen ni pour corruption, ni pour importation de stupéfiants en bande organisée".