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Emeutes: qu'est-ce qui attend les mineurs après leur garde à vue? Dans les coulisses de la justice

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Parmi les émeutiers qui ont cassé, pillé et attaqué les forces de l'ordre la semaine dernière, beaucoup sont mineurs. RMC a pu, exceptionnellement, passer la journée de jeudi au parquet des mineurs à Bobigny, pour observer le travail des magistrats face à ces jeunes.

Un tiers des interpellés lors des émeutes de la semaine dernière avaient moins de 18 ans. Le garde des Sceaux a diffusé mercredi une circulaire appelant à une réponse pénale ferme et adaptée à l'égard des mineurs. C'est habituellement assez flou, car la justice des mineurs se rend, par définition, à huis clos et à contretemps, en dehors de l’urgence des comparutions immédiates des majeurs. Mais RMC a pu passer la journée au parquet des mineurs de Bobigny, ce jeudi.

Rien à voir avec le rythme infernal des 15 gardes à vue par jour du week-end. Quand Victoire Risselet, magistrate, assurait la permanence téléphonique assistée des greffières Tiffen Maussion et Léa Delobel, "on a vécu trois jours très intenses avec la multiplication des gardes à vue et des profils assez étonnants, des jeunes de 13 ans sans aucun antécédent".

Mais le parquet des mineurs n'en a pas fini avec les suites judiciaires des émeutes. Souad, qui assure la permanence téléphonique ce jeudi, est avisée en fin de matinée de la garde à vue d'un jeune de 14 ans pour des faits qui remontent à samedi dernier. Il s’agit d’un adolescent de 14 ans que l’on va appeler Adel pour préserver son anonymat. Il a été interpellé le 29 juin, puis relâché après 17h de garde à vue sans charge. Mais depuis, il a été identifié sur des vidéos. A l’autre bout du fil, c’est un commissariat de Seine-Saint-Denis.

"Et ils ont tiré des mortiers ?", demande la substitute du procureur. "Oui, oui, plusieurs", répond la policière, avant un nouvel échange entre les deux. "En direction des policiers?". "Oui et il a été interpellé faisant partie de ce groupe d’individus et il reconnait avoir lancé une bouteille de verre contre les policiers". "Aucun policier ne dépose plainte?". "Non". "Bon, on va le déférer, explique Souad. Pour moi, ça va être violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique avec arme par destination, en réunion."  

Il sera présenté à un procureur dans la foulée de sa garde à vue. C'est l'une des préconisations du garde des Sceaux face aux émeutiers.

“Il a été fait le choix d’une politique générale de déférer les mineurs même s’ils ne sont pas connus, même s’ils n’ont pas d'antécédents, pour pouvoir marquer le coup et pour que les événements cessent aussi”, indique Souad, substitute du procureur.

Une audience de culpabilité en septembre

Deux heures plus tard, l'adolescent arrive au dépôt, dans les cellules du tribunal en sous-sol. Sa mère est également convoquée. Avant d’être présenté au procureur, Adel reçoit la visite d’une éducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui va discuter avec lui pour en savoir plus sur sa famille, son parcours scolaire. Deux étages plus haut, le substitut du procureur Jean-Eudes Savatier récupère le dossier d'Adel et l'éducatrice lui fait un compte-rendu.

"C’est un jeune de 14 ans qui vit avec sa maman séparé de son papa. Le garçon est en 3e, il est censé passer ensuite en lycée professionnel", explique-t-elle. "Il n’a pas eu le brevet?", s’étonne le magistrat. "Non, mais il est assez honnête sur le fait qu’il s’est relâché, il entend le discours éducatif, répond l'éducatrice. Aujourd’hui, il devait aller dans son ancien collège pour travailler son orientation mais il n’y est pas allé vu qu’il est en garde à vue. Il a évoqué de la tristesse par rapport à la mort de Nahel et sa maman. Il est conscient que ce n'était pas la meilleure idée de sortir ce soir-là et qu’il s’est mis dans une situation dangereuse. On pense que l’arrestation, le dépôt, le déférement sont suffisants pour qu'il se remette en question."

Enfin, à 17h30, Adel entre dans la salle de déférement, un petit bureau impersonnel avec une table et quelques chaises. Il est accompagné de son avocate, Me Pauline Bouvet, et de sa mère, face au substitut du procureur. "J’ai demandé à cette mère si elle avait autorisé son fils à sortir samedi soir. Très clairement, non, elle avait cherché à le joindre pour lui dire de rentrer dans le contexte des émeutes, explique Jean-Eudes Savatier. C’est le mineur qui a désobéi. Pour un mineur, être confronté à plusieurs professionnels de la justice, c’est quelque chose de marquant."

"Je n’aurais pas dû jeter la bouteille"

En fin d'après-midi, Adel son avocate et sa mère rencontrent la juge des enfants. Il ressort du tribunal à 19h épuisé. "Je n’aurais pas dû jeter la bouteille, surtout pour un enfant de 14 ans, que sa mère soit là au tribunal, devant le juge des enfants... Je vais avoir un éducateur, un couvre-feu de 23h à 6h. Elle m’a dit que ce n’était pas bien ce que j’avais fait”, indique l’adolescent. 

Adel a un contrôle judiciaire avec une interdiction de sortir la nuit. Et une mesure éducative provisoire qui prévoit un rendez-vous avec un éducateur la semaine prochaine. Sa mère était visiblement éprouvée aussi: "De voir son fils arriver menoté, ça fait un choc, surtout que c’est un enfant tranquille. Moi, j’étais pas bien, je me suis demandée 'qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que j’ai raté?'. Et aujourd’hui, quand ils lui ont dit qu’ils allaient le mettre en garde à vue, il était tout pâle, il avait envie de pleurer. Je pense que ça lui a servi de leçon et qu’il ne recommencera plus."

Adel ne sera pas convoqué avant le mois de septembre pour une audience de culpabilité pour violences sur personne dépositaire de l'autorité publique, loin de l'effervescence médiatique. S'il est reconnu coupable, il aura une deuxième audience pour la peine. Théoriquement, il encourt cinq ans de prison. En pratique, il pourrait écoper d'un stage de citoyenneté. En attendant, le parquet des mineurs se prépare à un nouveau coup de chaud la semaine prochaine pour le 14 juillet.

"Du jamais-vu" pour le parquet
La semaine dernière, lors des émeutes, le nombre de mineurs déferés au parquet de Bobigny a été considérable. "C’est du jamais-vu pour nous, explique à RMC Ludovic Lestel, le vice-procureur en charge du parquet des mineurs de Bobigny. On a déferé près de 50 mineurs sur les trois jours. On n’a jamais autant déferré autant de mineurs. Quasiment 75% des gardes à vue se sont terminées par un déferement, ce qui est aussi assez inédit. Si on prend le 14 juillet l’année dernière, on avait 90 mesures de garde à vue pour les mineurs, mais 75% se sont terminées par des classements sans suite parce que les infractions étaient insuffisamment caractérisées. C’est là où le travail des services de police a été bien mené, parce que les déferements sont majoritaires par rapport au nombre de garde à vue. Et les procédures sont vraiment de bonne facture compte-tenu du contexte très compliqué pour les fonctionnaires de police, qui ont réussi à faire un travail d’investigation très soigné."

Marion Dubreuil avec Guillaume Descours