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Il faut éviter que les prisons ne deviennent des centres de formation pour apprentis jihadistes

Au cours de sa détention à Fleury-Mérogis, de mai 2015 à mars 2016, Adel Kermiche aurait rencontré "son mentor", "son cheikh", "son guide spirituel" avec qui il a partagé la même cellule. Il se serait aussi rapproché d'un émir d'Al-Qaïda". De quoi relance le débat sur la radicalisation en prison et les moyens de lutter contre.

Les enquêteurs ont découvert des enregistrements audio de la voix d'Adel Kermiche, l'un des deux assaillants de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Consultés par L'Express, ils révèlent, outre la préméditation de son attaque avec son complice Abdel Malik Petitjean, une radicalisation depuis de longs mois. Dans ces bandes, le terroriste évoque aussi sa détention à Fleury-Mérogis, de mai 2015 à mars 2016.

Dans cette prison, Adel Kermiche aurait rencontré "son mentor", "son cheikh" ou encore "son guide spirituel": un homme avec qui il aurait partagé la même cellule. Un homme qui l'a "inspiré" dit-il dans ces enregistrements: "Il m'a donné des idées". Au cours de sa détention, il se serait également rapproché d'un "émir d'Al-Qaida" et "d'autres frères" avec lesquels ils auraient réussi "à se réunir pour prendre des cours".

"Il y a des détenus qu'on ne détecte pas"

Si l'enquête en cours ne confirme pas ces propos, le débat sur la radicalisation en prison est relancé. "Tous les jours à Fleury-Mérogis, les détenus radicalisés opèrent durant les promenades, assure, ce vendredi sur RMC, Arnaud Haram, représentant CGT Pénitentiaire de cette prison. Ils exercent même un vrai prosélytisme agressif sous le regard des surveillants, impuissants". Il rappelle qu'à Fleury-Mérogis, "près de 120 détenus sont radicalisés", mais, alarme-t-il, "il y en a d'autres qu'on ne détecte pas".

"Ceux-là, on peut, involontairement, les placer avec des détenus fragiles qui vont se faire embrigader, se faire recruter, indique-t-il encore. En puissance, cela en fait des individus prêts à agir comme on a pu le voir ces derniers jours". "Il y a un énorme problème de radicalisation en prison", confirme Olivier Falorni, député radical de gauche de Charente-Maritime et secrétaire de la mission d'information sur les moyens de Daesh à l'Assemblée. Selon lui, cela est dû "au mélange des détenus, lié à la surpopulation carcérale".

"Il faut plus de moyens"

"Il faut intégrer le jihadisme comme un phénomène viral, estime cet élu. Il faut mettre en quarantaine les prosélytes et faire en sorte qu'ils ne contaminent pas les jeunes comme Adel Kermiche". "Il y a aussi une absence totale d'un véritable service de renseignement pénitentiaire, ajoute Olivier Falorni. Il faut des analystes qui permettent de démasquer ceux qui font du prosélytisme pour éviter que les prisons françaises ne deviennent des centres de formation pour apprentis jihadistes".

Jean-François Forget, secrétaire général de l'organisation syndicale pénitentiaire UFAP-UNSA, dénonce, lui aussi, un réel problème de radicalisation dans les prisons, notamment celle de Fleury-Mérogis. "Il faudrait que nous ayons bien plus de moyens que nous en avons aujourd'hui. Il faudrait que ce pays se pose les bonnes questions. Par exemple, il faudrait avoir une prison de très haute sécurité pour garder Abdeslam et autres. Parce qu'aujourd'hui, même lui, isolé, arrive à échanger avec d'autres détenus. Il faudrait aussi des programmes de prise en charge de ces détenus-là".

"Arrêtons l'angélisme"

Et d'insister: "Il faut arrêter l'angélisme et se rendre à l'évidence: nous n'avons jamais eu depuis plus de 20 ans les moyens de garder ce type de détenus. En effet, avant Abdeslam, Antonio Ferrara (figure du grand banditisme français, surnommé le "Roi de la belle", ndlr) prétendait déjà au même dispositif. Et demain d'autres. Donc il faut vraiment que nous ayons une structure adaptée et non pas ces unités dédiées qui ne répondent pas aux besoins dont le Premier ministre s'est engagé après les attentats de janvier 2015".

Pour rappel, après Charlie Hebdo et l'Hyper Casher, Manuel Valls avait annoncé la création de quartiers spécifiques dans les prisons. Où en est-on aujourd'hui? "C'est fait mais cela ne fonctionne pas ou mal", déplore Jean-François Forget. C'est pourquoi il s'interroge: "Va-t-on continuer à courir derrière un lièvre que l'on ne rattrapera jamais ou prenons-nous réellement les dispositions législatives et structurelles pour pouvoir faire en sorte de faire ce que l'on sait faire?"

Maxime Ricard avec Jean-Baptiste Durand