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Le fondateur du mouvement sectaire "La Famille de Nazareth" incarcéré

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INFO RMC. Soupçonné d’être à la tête d’un mouvement sectaire signalé par la Miviludes, Daniel Blanchard, 83 ans, a été mis en examen et placé en détention provisoire le 15 juin. La justice lui reproche des faits d’abus de faiblesse par sujétion mais aussi des violences sexuelles. Deux complices présumés sont également poursuivis.

Un homme, soupçonné d'avoir fondé un mouvement considéré comme sectaire, appelé "La Famille de Nazareth", a été mis en examen et placé en détention provisoire le 15 juin dernier. À l’issue d’une enquête préliminaire lancée par le parquet d’Evry, trois responsables de la "Famille de Nazareth", ont été mis en examen par un juge d’instruction, révèle RMC.

Parmi eux, le fondateur du mouvement, Daniel Blanchard, 83 ans, a été placé en détention provisoire. Sa structure créée en 1979 et basée dans l’Essonne, mélange d’école de psychanalyse et de communauté religieuse catholique non reconnue par l’Église, était documentée et dénoncée depuis les années 1990 notamment par l’UNADFI. La "Famille de Nazareth" comptait des centaines de membres dans les années 2000, quelques dizaines plus récemment, d’après une source proche du dossier.

La justice a déjà recensé au moins six victimes anciennement sous emprise mais bien d’autres pourraient se manifester dans les prochains jours, tant les agissements allégués duraient depuis des décennies.

C’est un suicide qui a déclenché l’ouverture de l’enquête. En juin 2018, une femme d’une cinquantaine d’années, décrite comme "psychologiquement fragile", a mis fin à ses jours après avoir participé à un "pèlerinage" dans une structure de l’association en Normandie où elle aurait été dissuadée de suivre une thérapie adaptée à l’hôpital.

Son décès a conduit la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, à saisir la justice environ un an plus tard, rapporte à RMC le parquet d’Evry qui avait ouvert une enquête préliminaire et qui "observe une vigilance particulière sur ce type d’affaire".

Violences sexuelles et abus de faiblesse par sujétion

Les longues investigations menées par la police judiciaire d’Evry ont permis d’identifier au moins six personnes ayant effectué des versements d’argent réguliers à la structure fondée par Daniel Blanchard. Des centaines de milliers d’euros ont ainsi été collectés à travers des adhésions, des facturations de séances de psychanalyse et des ventes d’ouvrages, durant plusieurs dizaines d’années.

Dans leurs témoignages, les victimes ont décrit un phénomène d’emprise psychologique, un climat de peur et de tension qui pouvait régner au sein de la structure ainsi que la manière dont les membres étaient peu à peu isolés de leur entourage.

Tout en menant une vie familiale et professionnelle à l’extérieur de la "Famille de Nazareth", ses adhérents y consacraient la plupart de leur temps libre en prières, séances de psychanalyse individuelle tarifées et collectives ou travaux au sein d’une vingtaine d’associations connexes.

Le juge d’instruction chargé du dossier a qualifié ces faits d’"abus de faiblesse par le dirigeant d’un groupement poursuivant des activités créant ou exploitant la sujétion psychologique ou physique", précise le parquet d’Evry. Ce délit, spécifique à la lutte contre les mouvements sectaires, est passible de 5 ans de prison et 750.000 euros d’amende.

Par ailleurs, plusieurs plaignants entendus par les policiers ont également raconté avoir subi des violences physiques et sexuelles, notamment des viols. Daniel Blanchard et ses deux adjointes – une psychologue et une psychanalyste – sont aussi mis en examen pour ces faits allégués et restent présumés innocents. Ces deux femmes ont été laissées libres sous contrôle judiciaire.

"Il m'a tabassée"

Solène Guilhot a vécu les vingt-cinq premières années de sa vie au sein de la "Famille de Nazareth", dont ses parents étaient membres. La jeune femme est parvenue à quitter la structure en 2015 et a raconté son expérience trois ans plus tard à travers un livre, "La caresse qui claque".

Elle témoigne auprès de RMC des scènes de violences auxquelles elle a assisté durant son enfance. Elle raconte avoir été frappée par Daniel Blanchard alors qu’elle était enfant et qu’elle refusait de faire une prière: "Ce jour-là, j’ai osé lui dire non, il m’a tabassée. Personne n’a réagi. Parce que personne ne peut réagir, tout le monde est complètement sous sa coupe, en fait. Et comme il manipule les gens en sachant tout leur vie, tout devient crainte."

Solène Guilhot confirme à RMC qu’elle s’est portée partie civile dans l’information judiciaire en cours. La jeune femme, dont les parents ont finalement aussi quitté la "Famille de Nazareth", décrit également "l’emprise mentale" exercée sur les membres et la difficulté à s’en défaire. "J’ai vu une petite fille se faire brutaliser alors que j’avais la mienne dans les bras et là je me suis dit ‘plus jamais je n’y retourne’", se souvient-elle. "Pour en sortir, c’est hyper compliqué. J’ai mis plusieurs années à oser en parler", ajoute Solène Guilhot.

Aujourd’hui, elle reconnaît être encore très perturbée à l’idée de témoigner mais elle tient à sensibiliser aux dangers de ce type de structure. "Il faut oser en parler", dit-elle et incite les proches de personnes sous emprise à "ne surtout pas couper les liens" avec elles, "garder un peu la porte ouverte" pour ne pas qu’elles se retrouvent totalement coupées de leur entourage.

Guillaume Biet