Les émissions de télé autour du 13 novembre pourraient "remettre une couche d’anxiété, de traumatisme"

- - AFP
Michaël Stora, cofondateur de l’observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH)
"Je n’aime pas trop faire ‘les bons conseils du psy’, mais à l’époque, vu la dimension traumatique, j’avais dit que c’était terriblement anxiogène de regarder les chaines d’info en continue. D’un point de vue psychologique, sur les processus de deuil, pour les gens qui vivent les choses, on évoque une année. Mais d’après moi, ils ne sont pas du tout reconstruits, c’est évident. Le deuil ce n’est pas oublier, c’est vivre avec. Cette dimension d’une hyper-violence provoque des deuils qui peuvent devenir assez pathologiques.
Après, pour nous spectateurs qui ne l’avons pas directement vécu, je dirais qu’il y a une tendance au déni et à l’oubli à tout prix. D’autant plus que depuis Nice en juillet, on n’a pas été confronté à un attentat en France. On garde en nous cette sorte de crainte que les choses arrivent. Donc replonger dans l’horreur de ce qui s’est passé le 13 novembre pourrait au fond nous remettre une couche d’anxiété, de tristesse, de traumatisme.
"Ce que je trouve sain, c’est toujours d’être du côté de la vie"
Mais comme toujours, ça dépend comment les choses sont traitées. Chacun le vivra selon son histoire. La position de déni, c’est d’une certaine manière une défense psychique qu’on n’a pas à juger. Mais qui montre à quel point ça peut encore nous toucher. Ce que je trouve sain, c’est d’être du côté de la vie. C’est rouvrir la salle, vivre à nouveau.
Après la 11 septembre, les Américains ont très vite fait des films, des documentaires, presque avec un effet cathartique. Mais si un documentaire nous montre heure par heure comment les choses se sont passées, je ne sais pas si ça va aider. Ça va surtout, malheureusement, ajouter quelque chose qui relève de nos processus de voyeurs.
Je trouverais ça déplacé de dire que ce documentaire aiderait à faire un travail de deuil. Là ce serait aller loin. C’est comme une sorte d’onde de choc, entre ceux qui ont été vraiment au cœur, ceux qui ont été tout près, et ainsi de suite. On est pris soi-même dans une sorte d’ambivalence entre ‘je n’ai pas envie de revivre ce qui s’est passé’, et peut être une attirance qui n’est pas forcément très saine.
"Essayer de quitter cette position purement émotionnelle"
Ces traumatismes seront en nous. Ce sera indélébile. Là où c’est très nouveau, c’est que ce sont des individus, des Français, qui tout d’un coup sous prétexte du jihadisme, vont tuer leurs compatriotes. Et ça révèle un profond malaise. La question c’est est-ce que le deuil de ce malaise a été fait? Et selon moi, il n’est pas fait. La réalité sociale, politique culturelle, religieuse est toujours présente. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas.
Ok, pourquoi pas faire une émission sur le 13 novembre, mais on attend aussi de réfléchir sur la manière dont tout d’un coup on se radicalise. Là il y a quelque chose d’important. Nommer l’innommable, expliquer l’inexplicable. Saisir ce qui fait que des gens deviennent acteur d’une horreur aussi absolue. C’est plutôt ça qui m’intéresse, et là où se situe le combat. Parce que comme toujours la position de spectateur est une position passive. Il faut essayer de quitter cette position purement émotionnelle, de positon morbide. Voilà pourquoi, un après, au-delà du fait de rendre hommage, personnellement, je ne regarderai pas ce documentaire.