Lutte contre le trafic de drogue: les rivalités malsaines entre police et douanes

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Le 14 septembre à l'aube, cinq véhicules passent la frontière espagnole et remontent l'autoroute A63. Ils sont discrètement surveillés par les enquêteurs de l'Office central des stups qui détectent la présence d'autres voitures suspectes, non identifiées. Après vérification les policiers découvrent qu'il s'agit… de celles de la douane, également en planque sur cette affaire. Au-dessus de Bayonne, cinq trafiquants présumés sont arrêtés quasi simultanément sur plusieurs aires d'autoroute par les policiers, l'un des conducteurs des véhicules parvient tout de même à prendre la fuite et est toujours recherché. Dans deux des véhicules, les enquêteurs mettent la main sur 44 valises marocaines contenant 1.376 tonnes de cannabis. Le tuyau des policiers était donc bon et une belle saisie que les douaniers également espéraient faire ce jour-là. Ils n'ont compris qu'ils n'étaient pas les seuls sur le coup qu'en voyant leurs collègues policiers intervenir sous leurs yeux.
Chacun travaillait en fait dans son coin depuis des mois sur cette affaire. Dans le cadre d'une commission rogatoire du TGI de Versailles concernant l'OCRTIS, et de façon totalement indépendante concernant les douaniers qui n'ont, au contraire des policiers, pas besoin de l'aval de la justice pour enquêter sur des filières et intercepter de la marchandise. C'est un des points faibles de la lutte contre le trafic de stupéfiant, explique un agent de la DNRED, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières : "Si la justice chapeautait systématiquement les enquêtes, elle aurait une vue d'ensemble et il y aurait moins de problème de coordination entre services, mais cela signifierait aussi que les douanes perdraient en autonomie, ce qui est leur point fort dans d'autres dossiers".
La situation aurait pu dégénérer
Dans cette affaire, les douaniers comme les policiers se sont aussi cachés des informations. Quasiment tous les trafiquants présumés étaient identifiés, avoue-t-on de part et d'autre. Ils auraient donc dû être inscrits au Fichier national des objectifs stupéfiants, le FNOS, un fichier créé en 2012 justement pour éviter que deux services travaillent sur les même affaires en même temps sans le savoir. Dans le cas présent douaniers et policiers n'avaient volontairement pas rentré toutes les identités dans le logiciel et surtout, sans le savoir, il n'y avait pas mis les mêmes personnes, ce qui explique que les services ont travaillé chacun de leur côté sur les mêmes objectifs.
La situation aurait pu dégénérer au moment des interpellations, reconnait-on côté douanes comme côté police. Les véhicules des douaniers ont dans un premier temps été suspectés par les policiers d'être ceux des trafiquants, explique un officier, qui rappelle que chaque service intervient armé. "Dans ces affaires-là, les trafiquants craignent aussi de se faire piquer la marchandise par des concurrents. Si les services ne s'identifient pas très vite, ça peut être très dangereux", estime un douanier. Un pistolet a d'ailleurs été retrouvé dans un des camions.
Vers une fusion des services?
Autre preuve de la défiance entre les deux services dans cette affaire, deux balises retrouvées dans les véhicules interceptés par l'office central des stups. Les policiers soupçonnent les douaniers de les avoir posées hors procédures légale, pour suivre les trafiquants. Faux, répond-on côté douane, il s'agit des balises utilisées par les loueurs de véhicules pour éviter les vols. Finalement seule l'absurdité de la situation met tout le monde d'accord. Pour y remédier définitivement, le syndicat des cadres de la sécurité intérieure de la police propose de fusionner les services de gendarmerie, police et douane, ce qui permettrait de gagner "en coût pour le contribuable, en sécurité pour les forces de l'ordre, et en efficacité". Une réforme radicale que personne n'osait envisager il y a quelques années.