Onze personnes ont perdu la vie: le déraillement du TGV Est en 2015 jugé à Paris à partir de lundi

Le TGV accidenté près de Strasbourg - AFP
Le procès du déraillement de la rame d'un TGV d'essai ayant causé la mort de 11 personnes en Alsace, le 14 novembre 2015, lors de l'ultime test d'un tronçon de la ligne à grande vitesse est-européenne, s'ouvre lundi devant le tribunal judiciaire de Paris.
Vitesse excessive et freinage trop tardif: les causes principales de l'accident ont été identifiées. Mais la justice devra déterminer les responsabilités de chacun dans l'enchaînement des événements ayant mené à cette tragédie, éclipsée par l'onde de choc provoquée la veille par les attentats terroristes survenus en région parisienne (130 morts).
Blessures et homicides involontaires
La SNCF, ses filiales Systra (commanditaire des essais) et SNCF Réseau (gestionnaire des voies) ainsi que trois personnes physiques (le conducteur titulaire, un cadre de la SNCF chargé de lui donner les consignes de freinage et d'accélération et un ingénieur de Systra, chargé de renseigner le conducteur sur les particularités de la voie) comparaissent devant la 31e chambre correctionnelle.
Ils sont poursuivis pour blessures et homicides involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité. Avocat du cheminot, Philippe Sarda a indiqué à l'AFP qu'il demanderait la relaxe de son client.
"Il n'avait qu'un rôle d'exécutant devant respecter les consignes", a expliqué Me Sarda.
Un conducteur d'essai, interrogé au cours de l'enquête, résumait ainsi le rôle du conducteur: "on nous pose la partition sur la table et on nous demande de la jouer". Le procès, qui s'annonce extrêmement technique, est prévu jusqu'au 16 mai. Ce déraillement est le seul accident mortel de TGV recensé en France depuis sa mise en service en 1981.
"Ce procès va déjà permettre de sortir ce drame de l'oubli collectif", a confié à l'AFP l'avocat Gérard Chemla, conseil d'une cinquantaine des quelque 90 parties civiles. Mes clients "attendent de l’honnêteté et du courage de la part des protagonistes", a-t-il ajouté.
Le 14 novembre 2015, 53 personnes, des salariés du monde ferroviaire et des membres de leurs familles, dont quatre enfants, avaient pris place à bord de la rame pour l' ultime test du tronçon de la nouvelle LGV Est européenne entre Baudrecourt (Moselle) et Vendenheim (Bas-Rhin).
A 15h04, au niveau d'Eckwersheim (Bas-Rhin), à 20 km de Strasbourg, le train a abordé une courbe à 265 km/h, très largement au-dessus des 176 km/h prévus à cet endroit. Il a déraillé 200 mètres plus loin à une vitesse de 243 km/h, avant de percuter un pont et de basculer dans le canal de la Marne au Rhin.
Onze personnes ont perdu la vie et 42 autres ont été blessées, dont une vingtaine gravement. Les experts du pôle "accidents collectifs" du tribunal judiciaire de Paris ont considéré que le déraillement de la rame avait été causé par "une vitesse excessive" et un freinage tardif.
Selon les enquêteurs, l'endroit précis où il aurait fallu freiner ne figurait pas clairement dans les documents de l'équipe de conduite. Les points de freinage étaient déterminés "à la louche", a dit un conducteur aux enquêteurs.
Dans son ordonnance, le juge d'instruction a relevé plusieurs manquements de la part de la SNCF et de Systra: "préparation insuffisante" des essais de la rame en survitesse, "manque d'anticipation des risques de déraillement", "insuffisance de communication et de coordination" entre les équipes de Systra et celles de la SNCF, "lacunes dans la formation du personnel" chargé des essais.
Le choix de Systra de pousser la rame à la vitesse de 330 km/h sur la portion de la ligne où s'est déroulé l'accident était "dangereux, non nécessaire et contraire aux préconisations", a pointé le magistrat instructeur.
Contacté par l'AFP, l'avocat de la SNCF, Me Emmanuel Marsigny, a refusé de s'exprimer avant l'audience.
"Notre priorité depuis le premier jour, ce sont les victimes et on leur doit la vérité des faits", a soutenu de son côté Me Philippe Goossens, l'avocat de Systra.
"Systra n'était pas en charge de la conduite" sous la responsabilité de la SNCF, a-t-il rappelé à l'AFP. Il demandera la relaxe de son client qui n'a, selon lui, "pas fait de faute".