Plaider-coupable, appel modifié... Comment mieux traiter les affaires criminelles qui s'enlisent?

"Il faut développer plus de simplification de la procédure", martèle ce vendredi sur RMC Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité magistrats FO, en réaction aux propos tenus la veille par Rémy Heitz. Le procureur général près la Cour de cassation a affirmé jeudi sur Franceinfo que 4.000 affaires étaient "en attente d'être jugées par des juridictions criminelles" (cours d'assises, cours criminelles départementales) en France, contre "2.000 il y a cinq ans". "Nous allons droit dans le mur, il faut le dire très clairement, s'agissant du jugement des dossiers criminels", s'est-il alarmé.
Le garde des Sceaux Gérald Darmanin a annoncé jeudi qu'il allait écrire prochainement à tous les personnels du ministère de la Justice pour leur demander de proposer "une mesure de simplification procédurale, réglementaire ou législative", susceptible de faire gagner du temps et de l'énergie à la justice.
Des détenus dangereux remis en liberté, faute de temps
La magistate Béatrice Brugère, invitée d'Apolline Matin sur RMC et RMC Story, a notamment identifié deux problèmes, à savoir le manque de temps pour juger ces affaires criminelles mais aussi l'inflation de ces dernières, provoquées par la création des cours criminelles départementales. Et qui dit manque de temps dit remise en liberté des détenus, une fois passé le délai maximum de placement en détention provisoire. "Pour pas mal d'affaires, les juges ont été obligés de remettre dehors des gens très dangereux avant d'être jugés, ce qui choque l'opinion publique à juste titre et ce qui pose un problème de sécurité", estime-t-elle.
Et cette remise en liberté retarde de nouveau un éventuel jugement, puisque la justice priorise, comme le rappelle Béatrice Brugère, "ceux qui sont détenus". "Ceux qui sont libres sont moins prioritaires." La solution pour la magistrate constiterait en conséquence à "rallonger ou unifier les délais de détention provisoire, qui sont différents selon les cours d'assises et les cours criminelles départementales." Et celle-ci de rappeler que généralement, "tous les détenus sont jugés au maximum de la détention provisoire."
Les cours criminelles doivent-elles fonctionner comme des cours d'assises?
Justement, les cours criminelles départementales s'attirent les griefs de la magistrate. Celles-ci, créées en premier lieu à titre expérimental en 2019 avant d'être généralisées en 2023, jugent "les viols, les coups mortels, les vols à main armée ou le proxénétisme aggravé, lorsque l’état de récidive légale n’est pas retenu", rappelle le ministère de la Justice. Elles sont composées de cinq magistrats professionnels et non d'un jury populaire tiré au sort dans la population française, contrairement aux cours d'assises.
Elles ont été créées "pour juger des faits qu'on correctionnalisait", explique Béatrice Brugère, ce qui a toutefois selon engendré "une inflation des affaires". "Les affaires qu'on ne jugeait pas avant au criminel, on les juge dans les cours criminelles départementales. L'objectif était de redonner un peu de souffle aux cours d'assises, en réalité, non, cela a ouvert les vannes pour avoir plus dossiers. Qu'est-ce que l'on voit? Plus de saisines des juges d'instructions. Ce qui était censé désengorger n'a pas fonctionné", regrette la magistrate.
"Cela ferait gagner un temps fou"
Comment augmenter le jugement des affaires criminelles? Première piste de réflexion pour Béatrice Brugère, qui prône la "simplification", serait "d'éviter tout ce qui rallonge" les procédures. Exemple: modifier le fonctionnement des cours criminelles, avec un fonctionnement "moins oral". "Elles sont composées de magistrats professionnels, pourtant, on fait comme si elles étaient des cours d'assises avec un jury populaire."
La magistate propose également l'instauration du "plaider-coupable" ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) dans les affaires criminelles. Celle-ci existe déjà mais uniquement afin de juger les délits, sauf exceptions comme par exemple l'homicide involontaire ou les agressions sexuelles, rappelle Vie publique. "Lorsque les faits sont reconnus, on va directement sur la peine et le quantum (durée de la peine, NDLR). Cela ferait gagner un temps fou", assure Béatrice Brugère.
Enfin, une solution afin d'améliorer le rendement des jugements, modifier l'appel. Béatrice Brugère évoque l'idée de "rejuger uniquement sur le quantum" et non sur le fond de l'affaire. "Souvent, les gens reconnaissent les faits mais contestent le quantum. On rejuge et il faut alors tout recommencer."
"Les effectifs sont décalés par rapport à la réalité"
Un engorgement de la justice auquel n'échappe pas la Saône-et-Loire. "Fin 2024, il nous reste 14 affaires criminelles à juger", fait savoir auprès de RMC Patrice Guigon, procureur de la République à Chalon-sur-Saône. Et pourtant, celui-ci l'assure, de grands efforts sont déployés. "Au lieu d'avoir une session par trimestre, on en a une par mois", mais pour cela, "il faut donc trouver des greffiers, des juges..." Malgré tout, des dossiers attendent depuis près de 2 ans. "Ce n'est pas satisfaisant de juger ces affaires dans les délais qu'on connaît aujourd'hui", regrette-t-il.
Pour les dossiers criminels mais pas seulement, c’est essentiellement un manque de moyens humain qui provoque ces retards. "Sur le tribunal de Lyon, on couvre 1,5 million d'habitants. En face, vous avez dix juges aux affaires familiales", déplore Cédric Antoine, délégué régional de l’Union syndicale des magistrats à Lyon. "Il y a un problème, les effectifs sont totalement décalés par rapport à la réalité des besoins dans les juridicitions. C'est quelque chose qu'on retrouve dans toutes les juridictions", pointe-t-il.