Sophie, rescapée du Bataclan: "Les beaux discours passés, notre galère continue"

- - Philippe Lopez - AFP
Sophie a été sérieusement blessée par balles au Bataclan, lors des attentats du 13 novembre 2015. Sur Twitter, elle a dénoncé le manque de soutien des autorités envers les victimes des attentats.
"Au Bataclan, j'ai pris deux balles dans la jambe, et une balle dans la hanche, que j'ai toujours. Ça fait un an que je me bats pour retrouver un semblant de dignité, pour pouvoir vivre au quotidien et me reconstruire. Le problème, c'est que le gouvernement nous fait beaucoup de discours – très beaux, très touchants -, mais une fois le discours passé on est livré à nous-mêmes.
Quand je suis sortie de l'hôpital, on m'a donnée le numéro de téléphone d'une cellule psychologique. Je l'ai appelée dès ma sortie de l'hôpital lorsque j'ai dû prendre le train toute seule pour la première fois. J'ai fait une crise de panique, j'étais apeurée, presque hystérique. Au téléphone, on m'a dit: 'rappelez quand vous serez calmée', et on m'a raccrochée au nez. Venant d'une cellule psychologique, c'est moyen. Quant au psy qu'ils m'ont conseillé, il s'est endormi pendant que je lui racontais ce que j'avais vécu: je lui parlais du Bataclan, j'étais en larmes et il s'endormait!
Pareil pour les soins. On doit se débrouiller seul pour trouver les infirmières. C'est très frustrant de se dire qu'on est déjà très éprouvé par ce qu'on a vécu et qu'on doit en plus passer une bonne partie de notre énergie à essayer d'avoir un minimum de soutiens et d'informations.
"Je racontais le Bataclan à mon psy, et il s'est endormi"
On a eu une prise en charge totale de nos soins par la sécurité sociale, heureusement parce que je n'aurais pas pu payer les 100 euros pour les séances hebdomadaires chez le psy, les 8.000 euros de soins infirmiers et de pansements que j'ai eus, les dépenses pour le kiné... C'est une aide géniale, mais ma prise en charge se terminait en novembre 2016 et pendant un temps j'ai été sans prise en charge, je ne pouvais plus aller chez le psy ou chez le kiné.
On touche de l'argent du fonds de garantie si on le demande. J'ai demandé d'avoir des provisions puisqu'une partie de l'année j'ai été sans-emploi, mais une fois qu'on a touché cet argent on n'a pas de contact humain. Personne ne nous appelle régulièrement pour nous demander simplement comment ça va, si on a besoin d'aide, comment ça se passe sur le plan psychologique, si on a trouvé la bonne personne… Autre chose que juste nous signer un chèque pour se dédouaner, en fait.
"On me dit que je suis une assistée"
Si j'ai poussé mon coup de gueule sur Twitter, c'est parce que j'en avais marre qu'au bout du sixième psychiatre, on me prescrive juste des antidépresseurs. J'ai aussi besoin de conseils pour pouvoir prendre le métro toute seule, pour ne plus descendre du bus quand je vois quelqu'un qui a une tête qui ne me revient pas, pour que je puisse aller au cinéma sans penser une fois plongée dans le noir que quelqu'un va se faire exploser… Surtout, j'ai vu rouge après un tweet de Juliette Méadel, la secrétaire d'Etat chargée de l'Aide aux victimes, dans lequel elle disait apporter son soutien à Manuel Valls pour la primaire. Chacun ses opinions, mais elle préfère tweeter son soutien à Valls plutôt que de s'occuper de nous. Les victimes des attentats s'en foutent qu'elle soutienne tel ou tel candidat. On a besoin d'être soutenus.
Sur Twitter, après mes coups de gueule, j'ai reçu beaucoup de messages de soutien, mais on m'a aussi fait des reproches: 'elle invente', 'c'est une assistée', 'le gouvernement fait beaucoup', 'elle a pris l'argent qu'est-ce qu'elle veut d'autre?'. Ça touche. Mais Twitter m'a beaucoup aidé. Des personnes m'ont envoyé des messages pour me donner des conseils, un médecin m'a proposé son aide et de précieux conseils…
"On ne nous demande jamais de parler de l'après"
Ce qui fait mal, c'est aussi le fait qu'une fois passé le 13 novembre, on n'est plus mis en avant alors que notre galère continue. Jusqu'au 13 novembre j'ai été sollicitée par plusieurs médias qui me demandaient de parler de ce que j'avais vécu. Mais je l'ai déjà fait il y a un an, les choses n'a pas changé! Sauf que moi j'ai toujours peur, je fais toujours des cauchemars… Entre le 1er et le 13 novembre, on va pouvoir parler, raconter ce qu'on a vécu. Mais entre temps et après, personne ne va nous nous demander comment on va, comment on s'en sort. On ne nous demande jamais de parler de l'après, des soins et des galères".