Vers la fin des jurés populaires au tribunal? "C'est pourtant aussi important que le droit de vote"

Seuls des magistrats professionnels jugeront les crimes liés au trafic de drogue selon la nouvelle loi contre le trafic de drogue votée au Sénat. L’idée, c’est de protéger les jurés. Le législateur craint, comme pour les procès liés au terrorisme, que les jurés (ou leur famille) fassent l’objet de menaces, d’intimidation ou de tentative de corruption de la part des narcotrafiquants. Et comme le dit le rapporteur de cette loi, le sénateur socialiste Jérôme Durain, "on ne juge pas bien quand on a peur".
Du coup certains craignent qu’on se dirige vers la fin des jurés populaires. Mais ce n’est pas lié uniquement aux affaires de terrorisme ou de narcotrafic. C’est lié à la création des cours criminelles départementales en 2019. Elles n’ont pas de jurys, elles sont composées de 5 magistrats professionnels et elles jugent les crimes punis entre 15 et 20 ans de prison.
Or, 80% des affaires qui arrivent dans ces cours sont des crimes sexuels. Tandis que les cours d’assises, elles, composées de 3 magistrats et de 6 jurés, jugent les accusés qui encourent plus de 20 ans de prison. Du coup, les crimes de sang sont jugés par des jurés populaires, pas les crimes sexuels.
Ces jurés populaires sont importants parce que la justice est rendue par le peuple, pour le peuple et au nom du peuple. Parce que ces jurés citoyens sont l’héritage même de notre Histoire judiciaire.
A quand remontent les premiers juré populaires?
Cela date de la Révolution française. En 1790, l’Assemblée constituante, s’inspirant de la Grèce antique, a considéré que la justice devait être rendue au nom du peuple et donc par le peuple - contrairement à la Monarchie où la justice était la seule prérogative du Roi. Il fallait, disait-on, que la justice bénéficie du "bon sens populaire", qu’elle ne soit pas seulement une affaire de juristes.
A partir de 1791, donc, le procès se déroulait en deux temps : un jury populaire d’accusation composé de 8 citoyens (chargé d’établir les faits), puis un jury de jugement, composé cette fois de 5 juges et de 12 jurés.
C’est Napoléon, en 1808, qui a supprimé le jury d’accusation. Pourquoi ? Parce qu’il jugeait qu’il y avait trop acquittements – il parlait même d’une justice laxiste.
Cela dit, tout le monde ne pouvait pas devenir juré. Les domestiques ne pouvaient pas siéger parce qu’ils dépendaient de leur maître. Les femmes non plus (qui ont dû attendre 1946). Et encore: ces jurés populaires ne pouvaient se prononcer que sur la culpabilité. Ce n’est qu’en 1832 qu’ils ont pu aussi décider de la peine infligée. Et ce n’est qu’en 1978 qu’on a cessé de les présélectionner pour préférer un vrai tirage au sort.
Combien de procès avec jurés populaires aujourd'hui?
Aujourd’hui, il y a de moins en moins de procès d’assises avec des jurés populaires. 1.700 environ chaque année, 2.000 si on compte les procès d’appel. Ce sont les maires qui effectuent un premier tirage au sort chaque année parmi les citoyens de plus de 23 ans.
Puis, c’est une commission spéciale rattachée à chaque cour d’assises qui élimine tous ceux qui ne remplissent pas les conditions : les personnes condamnées pour crime ou délit, les proches de l’accusé, certaines professions(policiers, gendarmes, ministres, députés). Mais une fois que vous êtes tiré au sort, et sauf dispense légitime, vous ne pouvez pas vous défiler. Sinon, c’est 3.750 euros d’amende.
Et quand on y réfléchit bien: à quel moment peut-on dire qu’on est vraiment citoyen, qu’on exerce pleinement ses droits civiques ? Quand on vote et quand on est tiré au sort pour être juré. Voilà pourquoi ces jurés populaires sont aussi importants que le droit de vote.