Affaire DSK : controverse sur le rôle de la presse

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Il faut préciser l’objet du débat. Il n’est pas faux de dire que des rumeurs circulaient sur l’attitude parfois pressante de DSK avec les femmes. Mais il serait mensonger de dire que ces rumeurs étaient précises, circonstanciées ; et il serait malhonnête de taire qu’elles n’ont jamais débouché sur des plaintes. Or nous avons, en France, des lois sur la protection de la vie privée qui sont très contraignantes. Un média qui aurait évoqué ces suspicions aurait encouru des poursuites. En fait, ce n’est pas à cause d’une connivence ou d’une complicité que la presse a tu ces rumeurs. C’est parce que nos règles – et nos usages – sont ainsi. Le rôle des journalistes n’est pas de tout dire ; mais de dire ce qui est utile à l’information du public. En France, cela exclut la vie privée.
Il arrive que les journalistes choisissent de violer certaines obligations pour publier des informations. Est-ce qu’il n’aurait pas fallu faire une exception pour DSK ?
Je ne vois pas pourquoi. Les rumeurs dont je parle relevaient incontestablement de la vie privée, dès lors qu’aucune femme n’a jamais saisi la justice. On comprend bien le sous-entendu de ce (mauvais) procès : la presse savait des choses qui pouvaient disqualifier DSK ; en s’autocensurant, elle aurait contribué à le laisser dériver jusqu’aux faits épouvantables qui lui sont reprochés aujourd’hui. Sauf que : 1. DSK reste présumé innocent. 2. Il n’a pas encore pu se défendre. 3. Ces histoires n’avaient de toute façon aucun rapport avec des violences sexuelles. Donc non, il n’y avait pas d’exception à faire. Le raisonnement de ceux qui accusent la presse, ce n’est pas le fameux : il n’y a pas de fumée sans feu, mais : là où il y a de la fumée, il finira par y avoir du feu. Eh bien je trouve ça malsain, hypocrite et faux.
La vie privée doit rester un tabou journalistique, même pour les hommes publics ?
Absolument. Je ne crois pas qu’il faille souscrire à ce maccarthysme rétrospectif en vertu duquel l’opinion devrait être informée de tout sur ses dirigeants – y compris de leurs pratiques sexuelles et de leurs habitudes intimes, comme le font parfois les anglo-saxons. En revanche, nous journalistes avons tort d’accepter si facilement les mises en scènes proposées par les politiques avec femmes et enfants pour servir leur image. La peopolisation de la vie publique est un mal qui n’est pas nécessaire. Quand les politiques exploitent eux-mêmes leur vie privée pour servir leurs intérêts électoraux, là les journalistes sont complices. Exemple : la fameuse photo du fils de Nicolas Sarkozy jouant dans son bureau pendant que papa travaille m’a autant choqué que celle de Cécilia Sarkozy avec son compagnon à New York…
Le précédent qui est souvent cité, c’est celui de Mazarine, la fille cachée de François Mitterrand. La presse aurait-elle dû révéler son existence ?
Même avec le recul, je n’ai pas d’avis tranché. L’infidélité de Mitterrand était-elle moins acceptable que celle de ses prédécesseurs et concurrents parce qu’il avait eu un enfant ? Pas sûr. Il aurait sans doute été plus pertinent de poser publiquement la question de l’état de santé du président dans le cas de Mitterrand puis de Chirac parce qu’il y avait, là, une incidence directe sur l’exercice des fonctions. Et d’une façon plus générale, je préfèrerais qu’on s’interroge, en France, sur le périmètre du secret-défense que sur celui de la vie privée.
Ecoutez «le parti pris» de ce vendredi 20 mai avec Hervé Gattegno et Jean-Jacques Bourdin sur RMC :