Le scénario de la primaire risque d'échapper au PS

Le scénario d'un duel entre Martine Aubry et François Hollande à la primaire socialiste pour l'investiture présidentielle se précise, avec en perspective un second tour serré qui pourrait ressusciter les luttes passées. /Photo d'archives/REUTERS/Régis Duv - -
par Sophie Louet
PARIS (Reuters) - Le scénario d'un duel entre Martine Aubry et François Hollande à la primaire socialiste pour l'investiture présidentielle se précise, avec en perspective un second tour serré qui pourrait ressusciter les luttes passées.
Selon un sondage Ifop pour France Soir, le premier secrétaire du PS, qui n'a pas encore déclaré sa candidature, progresse par rapport au député de Corrèze, toujours en tête des intentions de vote pour la primaire, prévue les 9 et 16 octobre.
Trente-neuf pour cent des sympathisants de gauche et 46% des militants du PS souhaitent que François Hollande soit candidat à la présidentielle, respectivement en baisse de deux et quatre points par rapport au baromètre des 17 et 19 mai.
Ils sont 33% dans la première catégorie à se prononcer pour Martine Aubry (+5 points) et 35% dans la seconde (+7 points).
Les autres prétendants, déclarés ou non, sont nettement distancés chez les sympathisants de gauche: la mieux placée, Ségolène Royal, ancienne candidate présidentielle en 2007 plafonne à 12% et Arnaud Montebourg se voit crédité de 5%.
Dans l'hypothèse d'un second tour l'opposant à Martine Aubry, François Hollande l'emporterait sans triomphe (53% pour les sympathisants de gauche-56% pour les sympathisants du PS) contre 47%-44% pour sa rivale.
L'EXEMPLE ITALIEN
La consultation, qui aurait pu se résumer à un simple vote de ratification tant le favori putatif, Dominique Strauss-Kahn, se détachait dans les sondages, tournerait ainsi à la confrontation après l'éviction de l'ex-directeur général du FMI, inculpé à New York de tentative de viol.
Cette personnalisation de la primaire, système choisi paradoxalement par les socialistes pour ouvrir le débat d'idées et désamorcer les luttes intestines, menace donc de relancer la guerre des chefs qui avait marqué la primaire interne de 2006 et fragilisé la candidature de Ségolène Royal en 2007?
"Si ça se dessine en affrontement Hollande-Aubry, dans le côté novateur, on aura fait mieux. Ça nous renvoie plutôt, non pas à des expériences étrangères qu'on voudrait acclimater en France, mais à un combat classique du Parti socialiste français avec en plus des haines recuites", estime Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département opinion de l'Ifop.
En décidant en 2009 de lancer ce vote sans précédent en France - moyennant un euro minimum de participation et la signature d'une charte d'adhésion aux valeurs de la gauche -, des responsables socialistes avaient invoqué l'exemple italien.
En octobre 2005, près de 4 millions d'électeurs avaient plébiscité Romano Prodi, homme sans parti, pour porter leurs espoirs aux législatives de mai 2006 lors de la première investiture populaire de l'Histoire italienne. Il avait battu de justesse Silvio Berlusconi, qui reconquit le pouvoir en 2008.
Pour la "gauche de la gauche" française, le retour en grâce du "Cavaliere" et l'enterrement de la gauche italienne avaient une seule et même cause : les primaires. Elle avait à l'époque évoqué la menace, sans succès, la consultation italienne s'apparentant plus à un vote de ratification pour Romano Prodi, alors leader incontesté du centre-gauche.
SURPRISES
Ce sont bien des "primaires de compétition" - pour reprendre une expression ancienne du club de réflexion de gauche Terra Nova - qui attendent le PS français puisque que le corpus idéologique ne fait officiellement plus débat au sein du parti.
Le projet présidentiel socialiste ayant été adopté à l'unanimité samedi dernier, la différence se fera sur les personnes, avec pour notable nouveauté un élargissement de l'électorat qui peut ménager un coup de théâtre.
"Idéologiquement, les deux principaux probables protagonistes, même si Martine Aubry donne une image un peu plus à gauche, sont assez d'accord sur l'essentiel", mais "les choses sont aujourd'hui très très ouvertes avec pas mal d'interrogations sur comment vont se répartir les voix strauss-kahniennes", relève Jérôme Fourquet.
Les instituts de sondage évaluent à environ un million le nombre de votants susceptibles de participer à la primaire.
"C'est un corps électoral beaucoup moins encadré, beaucoup moins contrôlé que par le passé", souligne le politologue. "Vous avez aujourd'hui un parti qui compte 150.000 membres, donc ça veut dire qu'on change d'échelle".
"Si vous avez un corps électoral très élargi, on peut avoir des surprises surtout si on est sur un rapport de forces 55-45 au second tour", poursuit-il.
Pierre Moscovici veut croire à une primaire à l'américaine, comme celle de 2008 qui vit les démocrates Barack Obama et Hillary Clinton unir leurs forces après la victoire malgré un duel impitoyable dans la course à l'investiture.
L'inimitié est telle entre Martine Aubry et François Hollande que cette hypothèse soulève peu d'enthousiasme pour l'heure au Parti socialiste.
"Tout dépend de ce que sera le score final. Rappelez-vous de Reims (congrès de 2008) : si ça se joue à quelques centaines de voix, même si c'est bien organisé, on dira 'Voilà, il y a eu de la truanderie dans tel et tel endroit', et la guerre recommencera", prédit Jérôme Fourquet.
Edité par Yves Clarisse