Le Sénat rejette l'instauration d'une taxe "Zucman" sur le patrimoine des "ultra-riches"

L'instauration de la taxe "Zucman", un impôt plancher sur le patrimoine des "ultra-riches", a été assez largement rejetée jeudi par le Sénat, conformément à la position du gouvernement qui juge cet outil "confiscatoire" pour les plus fortunés et craint leur exil fiscal.
Sans surprise, la chambre haute, dominée par une alliance droite-centristes, s'est opposée à 188 voix contre 129 à cette proposition de loi portée par les écologistes, déjà adoptée à l'Assemblée nationale. Le mécanisme proposé par l'économiste Gabriel Zucman entendait faire en sorte que tous les contribuables dont les patrimoines dépassent les 100 millions d'euros payent bien au moins 2% de leur fortune en impôt.
Une taxe qui rapporterait environ 20 milliards par an
Poussée par la gauche et des économistes reconnus, l'instauration de la taxe Zucman, impôt plancher sur le patrimoine des ultra-riches, fait son chemin en France, mais bute toujours sur d'inflexibles oppositions à droite et au centre, symbolisées par son rejet massif jeudi au Sénat.
Remède magique face à la dérive des finances publiques ou signal négatif adressé aux grands entrepreneurs ? Dans un contexte budgétaire alarmant et alors que le gouvernement vise 40 milliards d'euros d'économies pour construire le prochain budget, l'examen de cette taxe Zucman a relancé l'éternel débat de la justice fiscale.
Rejetée sans surprise à 129 voix contre 188 à la Haute assemblée après son adoption à l'Assemblée nationale, la proposition de loi portée par les écologistes prévoit l'application d'une "contribution différentielle" visant les patrimoines de plus de 100 millions d'euros.
L'objectif: s'assurer que ces contribuables ultra-riches payent bien au moins 2% de leur fortune en impôt. Et empêcher ainsi les effets d'évitement observés dans la fiscalité de certains multimillionnaires, en mesure de structurer leur patrimoine pour en diminuer la fiscalité.
A l'origine du dispositif, l'économiste Gabriel Zucman, directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité, avait porté cette proposition à l'échelle mondiale à l'agenda officiel du G20 l'année dernière. Selon lui, cela rapporterait environ 20 milliards par an, et concernerait 1.800 foyers.
Société civile mobilisée
Aux côtés de deux économistes français reconnus internationalement (Olivier Blanchard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI) et Jean Pisani-Ferry, architecte du programme économique d'Emmanuel Macron en 2017), il a défendu mercredi dans une tribune au Monde ce mécanisme, "le plus efficace" selon eux pour rétablir le "principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt".
En parallèle, une cinquantaine de maires ont soutenu mardi cette réforme dans une tribune au Nouvel Obs et jeudi matin, une vingtaine de militants des ONG Attac, Oxfam et 350.org se sont réunis devant le palais du Luxembourg pour remettre aux sénateurs une pétition en faveur de cette taxe, signée par près de 64.000 citoyens. Après le vote, ces ONG ont regretté le "manque de courage politique" des sénateurs.
Mais derrière cette mobilisation de la société civile, le constat reste clair: aucun consensus politique ne se dégage sur ce dispositif. Le Sénat et son alliance majoritaire droite-centristes, avec l'appui du gouvernement, l'a en effet balayée, au bout de plusieurs heures de débats passionnés et malgré les rangs désertés de la droite.
Motifs du rejet, avancés par ses pourfendeurs: la crainte d'envoyer un "signal négatif aux investisseurs étrangers", la possible "inconstitutionnalité" du dispositif et surtout la menace de l'exil fiscal des foyers ciblés.
"Expatriations certaines"
"Le seul risque de cet impôt, c'est qu'au fond, personne ne le paye", parce qu'il entraînera "des expatriations certaines pour un rendement incertain", a lancé devant les sénateurs la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin, qui a dit privilégier la correction de certains mécanismes de "sur-optimisation" d'ici aux débats budgétaires de l'automne.
"Ce dispositif est totalement confiscatoire et viole l'égalité devant l'impôt", martèle pour sa part le sénateur Horizons Emmanuel Capus, rapporteur du texte au Sénat.
Le président de la République Emmanuel Macron est allé dans le même sens jeudi lors du Conseil des ministres: "Dans une économie ouverte, il nous faut rester attractifs pour les capitaux", a-t-il insisté en référence notamment à cette taxe Zucman, selon un participant, promettant d'être "vigilant" afin de "ne pas défaire ce qui a été fait".
"Ce rejet (du Sénat) n'est qu'un combat d'arrière-garde" qui "nous fai(t) perdre un temps précieux", a réagi sur les réseaux sociaux Gabriel Zucman, appelant les "partis politiques qui défendent la mesure -et dont dépend la survie politique du gouvernement- (à) faire pression sur l'exécutif" pour faire adopter la mesure "dès cette année".
Les sénateurs écologistes, qui ont rallié toute la gauche et même une poignée de centristes à leur vote, ont eux aussi promis de "redéfendre la mesure" lors du projet de budget pour 2026. "Ce n'est que le début de la bataille pour l'égalité devant l'impôt", ont-ils affirmé dans un communiqué. Mais face aux réticences, rien n'assure qu'ils auront alors gain de cause.