RMC

Libye : Le triomphalisme français est déplacé !

-

- - -

Lundi, la dictature libyenne est tombée avec la prise de Tripoli. Même si Nicolas Sarkozy a été en pointe pour apporter une aide militaire aux insurgés, aujourd’hui, le triomphalisme français semble déplacé.

Depuis hier, on assiste à une montée d’autocongratulation cocardière qui est au moins hors de proportion. Il est sûr que Nicolas Sarkozy a eu un rôle décisif en convainquant les occidentaux qu’une intervention aérienne était nécessaire. Sans cela, Kadhafi aurait écrasé l’insurrection et massacré son peuple sans état d’âme. Pour autant, ce qui est agaçant dans ce concert de clairons, c’est qu’il occulte la réalité militaire, qui est que l’action essentielle a été menée sous commandement américain, et qu’il escamote une réalité politique : celle de nos relations avec la dictature libyenne qui n’ont pas toujours été glorieuses…

La France a-t-elle trop longtemps fermé les yeux sur les folies de Kadhafi?

Evidemment. Alors, personne ne dit qu’il fallait persévérer dans l’erreur. Mais on devrait avoir la décence de laisser leur victoire aux insurgés et considérer que l’envoi de nos avions ne suffit pas à effacer des décennies de ventes d’armes à Tripoli – d’ailleurs les avions de Kadhafi sont eux aussi des avions français et on s’en vante moins… Tout cela est bien antérieur à l’ère Sarkozy mais son arrivée à l’Elysée n’y a pas mis fin. Au contraire, tout le monde se rappelle le défilé ubuesque de 2007, quand Kadhafi a planté sa tente en plein Paris et qu’on l’a accueilli en héros. Il venait de libérer les infirmières bulgares et il promettait des contrats par centaines, mais c’était le même Kadhafi qu’on dénonce aujourd’hui comme un fou sanguinaire – et qui en est un…

Quelle est l'explication du retournement français ?

C’est évidemment là que la réponse est cruelle. D’abord, le grand loupé du printemps arabe. Nicolas Sarkozy a raté les premiers trains en Tunisie puis en Egypte. Il n’a pas voulu rater le 3ème – c’est Kadhafi pour faire oublier Ben Ali… Ensuite, les fameux contrats promis par Kadhafi – sur le nucléaire, le pétrole, les armes – ne sont jamais venus. Si bien que sa chute ne nuit pas à nos intérêts économiques. Peut-être même qu’elle les favorise. On peut parier que l’Elysée saura rappeler au nouveau régime libyen ce qu’il doit à la France. C’est assez cynique mais c’est ainsi. Il ne faut pas faire semblant de l’ignorer. Et encore moins pavoiser.

Il n’empêche que la conclusion, c’est quand-même la chute d’un dictateur. On ne peut que s’en féliciter, non ?

C’est évident. Mais on ne peut pas s’en tenir là. Les démocraties ont des responsabilités vis-à-vis du peuple libyen, pour qu’il ne sombre pas dans le chaos comme en Afghanistan ou en Irak. Et nous sommes en droit d’attendre de nos dirigeants – Sarkozy en tête – la même fermeté avec le président syrien, qui lui aussi fait tirer sur la foule. Et qui, lui aussi, a été invité en grande pompe à Paris. Il a vu défiler nos troupes pour le 14 juillet sur les Champs-Elysées ; mais nous ne sommes pas près de les voir défiler à Damas !

Ecoutez ci-dessous "Parti pris" de ce mardi 23 Août 2011 avec Hervé Gattégno et Jean-Jacques Bourdin :

Hervé Gattegno