"Si je m’étais appelé Moussa…": "Un ministre ne devrait pas dire ça", l’avis tranché d’Arthur Chevallier

"Si je m’étais appelé Moussa, je n’aurais pas été élu député et maire". Un ministre de l’Intérieur, même démissionnaire, ne devrait pas dire ça. Gérald Darmanin est justement la preuve du contraire de ce qu’il vient de dire. Il fait référence à son deuxième prénom, Moussa. Cette information, elle n’a jamais été secrète. Elle est même sur sa fiche Wikipédia. Lui-même a beaucoup parlé de ses origines algériennes et populaires, et en général pour vanter les mérites de la République. Bref, ni son deuxième prénom ni ses origines ne l’ont empêché de faire une carrière exemplaire. Ça n’a sûrement pas été facile, mais il y est arrivé. De la part de quelqu’un qui a été ministre de l’Intérieur pendant plus de quatre ans, on s’attendait a plus de cohérence.
Cela dit, c’est vrai aussi que les prénoms, ça compte, et que ça pénalise d’avoir un prénom à consonnance étrangère. Et chaque discrimination, c’est un échec de la République. Une fois qu’on a dit ça, il faut regarder les faits. Avant Gérald Darmanin, beaucoup de personnes avec des noms à consonnance étrangères ont été et élus, et ministres.
Alors, on ne va pas faire une liste complète ici, mais enfin, allons-y: Severiano de Eredia, d’origine cubaine, ministre dans les années 1880; Félix Houphouët-Boigny, d’origine ivoirienne, ministre dans les années 1950; Nafissa Sid Cara, d’origine algérienne, secrétaire d’Etat dans les années 1960; Azouz Begag, d’origine algérienne, ministre dans les années 2000; Fadela Amara, d’origine algérienne, elle aussi ministre. Et on peut continuer: Rachida Dati, Rama Yade, Najat Vallaud-Belkacem, Sibeth Ndiaye. Et tous l’ont été sous des gouvernements de gauche et de droite. Alors, il en faudrait certainement plus, mais ils sont la preuve que c’est possible.
On devient français parce qu’on partage des valeurs, pas parce qu’on porte le bon prénom
Cela reste quand même une minorité, c’est incontestable. Mais la République, ce n’est pas la promesse de la facilité, c’est la promesse de la possibilité. Bien sûr que nous ne vivons pas dans une société égalitaire, mais nous devons tout faire pour qu’elle le soit. Nos lois sont là pour permettre à tous les Français de réussir selon leur mérite. C’est justement pour ça que Gérald Darmanin a été irresponsable en disant "qu’il n’aurait pas pu" être maire, député ou ministre s’il s’était appelé Moussa. D’une certaine façon, en disant ça, il a affirmé que la République ne pouvait pas tenir sa promesse, ce qui est encore faux. Alors oui, il y a des ratés et il y a des discriminations. On ne peut pas le nier, mais on ne peut pas non plus le généraliser.
Il y aura toujours des progrès à faire car la bêtise et la méchanceté, ça ne disparaît jamais. Mais le principe de la citoyenneté depuis la Révolution française, c’est l’universalisme. On devient français parce qu’on partage des valeurs, pas parce qu’on porte le bon prénom. Au XIXe siècle, c’est ce qui nous a distingué du monde entier. A l’époque du Premier empire, des personnes d’origine étrangère occupaient des fonctions importantes. On nommait par exemple des préfets italiens dans la Loire. Et d’ailleurs, Napoléon lui-même ne portait pas un nom français mais d’origine italienne. On s’est beaucoup moqué de son prénom pendant ses années de collège. Les Corses subissaient à cette époque un véritable racisme. C’était désagréable, mais ça ne l’a pas empêché d’accéder au sommet de l’Etat. Si un homme avec un prénom aussi ridicule a pu devenir empereur de la République, c’est bien qu’en France, tout est possible!