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Projet de loi antiterroriste: "De telles mesures feraient entrer la France dans une société du soupçon"

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REACTIONS - Policiers, parquets et préfets seront les grands bénéficiaires d'un projet de loi bientôt présenté en Conseil des ministres, qui veut durcir le code pénal dans le but de mieux lutter contre le terrorisme après les attentats de novembre. Un projet déjà largement critiqué par les politiques comme le monde de la justice.

La lutte contre le terrorisme passera essentiellement par plus de moyens octroyés à la police et à la justice. Un projet de loi en ce sens doit être examiné en février en Conseil des ministres. Selon le texte, dévoilé mardi par Le Monde, l'accent sera mis sur la surveillance des apprentis jihadistes et un renforcement des moyens policiers. Donner plus de pouvoir aux policiers, aux parquets et aux préfets pour mieux lutter contre le terrorisme, une éventualité qui inquiète Georges Fenech, député Les Républicains du Rhône et ancien magistrat.

"Des mesures dérogatoires au droit commun"

"Les fouilles, les assignations à résidence sont des mesures qui permettent de contrôler certains individus, rappelle-t-il sur RMC. Maintenant, il faut aussi les entourer d'un maximum de garanties procédurales. Or avec ce projet, on ouvre une possibilité pour l'autorité administrative de procéder à des fouilles de voitures habituellement soumises aux règles de la perquisition et normalement autorisées non pas par un magistrat mais par le préfet".

Il estime donc que "l'on est face à des mesures très dérogatoires au droit commun et qui méritent réflexion". Florian Borg, président du Syndicat des avocats de France, est lui aussi préoccupé par un tel projet de loi. "On a l'impression que la France s'éloigne lentement mais sûrement de la démocratie libérale vers le régime de l'arbitraire, s'alarme-t-il. On retire du pouvoir au juge, pourtant garant des libertés, comme si on avait une crainte de ce dernier, pour en donner plus à la police".

"Une société de liberté surveillée"

En définitive, il considère que "de telles mesures feraient entrer la France dans une société du soupçon, une société de liberté surveillée". Thomas Pison, président de la conférence nationale des procureurs de la République et lui-même procureur à Nancy, pense que les parquets risquent d'être débordés avec ces nouvelles mesures. "Les parquets sont déjà en grande difficulté par rapport à leurs missions et ce sont des missions supplémentaires dont, en l'état actuel de nos effectifs et de nos moyens, auxquelles je ne pense que l'on puisse faire face".

"Il y a une telle masse à gérer que parfois il faut aller vite, parfois trop vite, ajoute-t-il. Mais cela comporte des risques procéduraux tels que des annulations de procédure ou encore des actes faits alors qu'ils n'auraient pas dû l'être. A vouloir aller trop vite, parfois on peut tomber. C'est aussi ça le danger". Pascal Gastineau, juge d'instruction à Lille et président de l'association française des magistrats instructeurs s'inquiète, pour sa part, des pouvoirs donnés aux préfets et aux policiers au détriment du juge.

"Plus personne pour contrôler"

"On a le sentiment d'être éclipsé concernant des mesures attentatoires aux libertés, déclare-t-il. Qu'est-ce qui empêche d'être efficace dans les investigations et d'être en même temps respectueux des droits et des libertés? Sauf à ce que l'on soit un peu gêné par le caractère indépendant du juge d'instruction car celui-ci n'obéit pas à des directives ". Et de souligner: "Si demain un préfet vous demande de ne pas rencontrer untel ou untel, vous ne pourrez pas faire appel car la décision aura été prise par arrêté préfectoral".

"Concrètement, ce sont des décisions qui ne seront pas motivées et prises par un préfet qui n'obéit qu'au gouvernement, souligne encore Pascal Gastineau. La tentation sera grande d'appliquer des mesures dans des cas où elles ne devraient pas être appliquées. En tout cas, il n'y aura plus personne pour le contrôler".